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Soutenir les mères qui travaillent et allaitent : le cadre réglementaire du Kenya
Santé et hygiène

Soutenir les mères qui travaillent et allaitent : le cadre réglementaire du Kenya

6 min

by

Lillian Karanja-Odhiambo and Janet Ngina Arum

Un emploi donne aux mères les ressources nécessaires pour renforcer la sécurité alimentaire de leur foyer, ce qui augmente leurs chances d’allaiter. Pourtant, les exigences professionnelles après le congé de maternité ont tendance à limiter l’attention que les mères peuvent accorder à leur enfant. Cet article cherche à savoir s’il existe un scénario «gagnant/gagnant» qui pourrait être soutenu par la législation, pour promouvoir le retour au travail des mères tout en leur permettant de continuer à allaiter.

L’allaitement maternel présente d’énormes avantages tant pour la mère que pour l’enfant. Pour ce dernier, le lait maternel contient des nutriments nécessaires aux besoins physiologiques changeants d’un nourrisson en pleine croissance. En outre, il contient des anticorps qui renforcent l’immunité et des acides gras qui favorisent le développement du cerveau. Pour la mère, un allaitement maternel prolongé a été associé à une réduction des risques de cancer de l’ovaire et du sein, à une diminution des hémorragies postnatales et à une réduction des risques de diabète de type 2 et d’hypertension.

Le Kenya fait-il des progrès dans la promotion de l’allaitement maternel?

Les messages favorables à l’allaitement maternel semblent être entendus par les mères au Kenya. En 2014, par exemple, au moins six femmes sur dix dans le pays ne nourrissaient leurs enfants qu’au sein pendant les six premiers mois, tandis qu’une femme sur deux continuait à allaiter jusqu’à deux ans. Cela signifie qu’environ la moitié des enfants kényans (53 %) profitent pleinement des avantages de l’allaitement, alors que l’objectif de l’Assemblée mondiale de la santé est de 90 %.

Au vu de tous ces avantages, pourquoi toutes les mères ne pratiquent-elles pas l’allaitement exclusif et pourquoi n’allaitent-elles pas jusqu’à deux ans ?

Comment la reprise du travail affecte-t-elle l’allaitement ?

Les recherches montrent que les conditions de travail d’une mère influencent de manière significative la durée et la fréquence de l’allaitement. Au Kenya, les taux d’allaitement des femmes qui travaillent sont plus faibles et les durées d’allaitement plus courtes que les mères au chômage. La principale raison invoquée est la difficulté de concilier les exigences de l’allaitement et du travail.

Dans une étude qualitative menée auprès de femmes de statut socio-économique élevé au Kenya, les mères ont indiqué que le retour au travail après un congé maternité était le principal obstacle à la poursuite de l’allaitement. Elles ont fait état d’un soutien insuffisant sur le lieu de travail, comme des espaces pour tirer le lait maternel et le manque d’installations pour le conserver.

Mais les recherches menées auprès des femmes de statut socio-économique inférieur indiquent que la réduction des revenus du ménage a entraîné une réduction de sa sécurité alimentaire et une réduction de la durée et de la fréquence de l’allaitement.

Cette situation présente un dilemme. Les mères ont besoin d’un emploi pour assurer la sécurité alimentaire de leur foyer, pour augmenter leurs possibilités d’allaiter. Mais en même temps, les exigences professionnelles limitent l’attention qu’une mère peut accorder à l’enfant qu’elle allaite.

Existe-t-il un scénario gagnant/gagnant qui favoriserait le retour au travail d’une mère et sa volonté de poursuivre l’allaitement ?

Quelles dispositions légales le Kenya a-t-il prises pour soutenir les mères qui travaillent et qui allaitent ?

Le gouvernement kenyan a cherché à relever ce défi par le biais du projet de loi sur les mères allaitantes (n° 74 de 2019). Cette proposition prescrit explicitement des normes minimales en matière d’espace, d’équipement et de temps qu’un employeur doit accorder aux mères allaitantes, ainsi que les sanctions en cas de non-respect, quelle que soit la taille de la structure.

Le projet de loi s’appuie sur la loi sur la santé (n° 21 de 2017) qui impose légalement aux employeurs de prévoir un temps suffisant et un poste d’allaitement – un espace privé où une mère peut tirer et conserver son lait maternel. Le projet de loi va plus loin que la loi sur la santé en prescrivant explicitement les conditions requises pour aménager un poste d’allaitement.

Par exemple, plus qu’une salle pour tirer le lait maternel, il peut aussi s’agir d’une salle d’allaitement. Cela implique la nécessité d’aménagements auxiliaires tels que du personnel pour s’occuper du bébé lorsque la mère travaille, une table à langer et des horaires flexibles pour permettre à la mère d’allaiter.

La loi indique aussi explicitement le temps requis pour permettre à la mère d’allaiter ou de tirer son lait : 40 minutes maximum toutes les quatre heures.  L’amende prévue en cas de non-respect est d’un million de shillings maximum, d’un an d’emprisonnement ou des deux. Le projet de loi s’applique également aux lieux publics tels que les restaurants, les aéroports et les centres de bus qui doivent offrir aux mères des espaces adaptés pour changer leur bébé.

Et ensuite?

Jusqu’à présent, le projet de loi a fait l’objet d’une première lecture, mais n’a pas encore été adopté. Une étude qualitative des mesures légales qui encouragent l’allaitement au Kenya indique que les dispositions stipulées dans la loi sur la santé de 2017 sont plus susceptibles d’être appliquées par les grandes et moyennes entreprises, mais qu’elles seraient difficiles à mettre en œuvre pour les petites entreprises dont l’espace et les ressources sont limités.

Les dispositions seraient également difficiles à mettre en œuvre dans les établissements qui dépendent de travailleurs occasionnels et de vendeurs. Il faudrait donc trouver des solutions innovantes adaptées aux réalités des pays en développement. Un exemple est la crèche mobile, une initiative menée en Inde et conçue pour offrir des services de garde aux enfants dont les parents travaillent sur des chantiers de construction, adaptés à l’âge et aux besoins de l’enfant.

Compte tenu du niveau d’investissement qu’un employeur devrait faire, et de la diversité des lieux de travail à travers le pays, il serait prudent de se pencher sur le projet de loi en réfléchissant à sa mise en œuvre, même avant son adoption.

Par exemple, combien de lieux de travail se sont jusqu’à présent conformés au « grand frère » de la proposition dont il est question, la Loi sur la santé de 2017 ? Quels défis les employeurs rencontrent-ils lors de la mise en place de tels espaces ? Quel est le principal obstacle : les ressources, la sensibilisation, la motivation ?

Et qu’en est-il des mères : quelle est leur perception de ces espaces lorsqu’ils existent ? Quelles difficultés rencontrent-elles au travail quand elles veulent concilier allaitement et vie professionnelle ? Un poste d’allaitement permettrait-il de résoudre ces problèmes ? 

Il serait également prudent de considérer le projet de loi du point de vue des incitations pour l’employeur. Une idée serait que les gouvernements accordent des subventions fiscales aux employeurs qui offrent un congé maternité prolongé ou des horaires flexibles aux mères qui travaillent.

Mais ce qu’il faut retenir en priorité c’est que pour inciter les mères à allaiter, il faudra le soutien de la famille, des employeurs, des pouvoirs publics et, finalement, de l’ensemble de la société. 

 

Lillian Karanja-Odhiambo
Public Health Nutritionist
Janet Ngina Arum
Senior Communications Officer, KIPPRA