Comment lutter contre la crise croissante des « Superbactéries » – bactéries qui sont résistantes aux antibiotiques ? Cette chronique nous révèle un effort international pour sauver la vie d’un de ses auteurs d’une infection bactérienne potentiellement fatale. La solution consisterait en une phagothérapie – un remède oublié datant d’une centaine d’années – qui a éliminé l’infection menant à une guérison totale. Plus de recherches cliniques de base sont nécessaires pour créer une avance dans ce domaine et de nouvelles voies légales sont nécessaires pour superviser l’usage thérapeutique des phages et d’autres produits naturels.
Nous sommes au seuil d’une ère post-antibiotique. Dû à leur utilisation excessive parmi les animaux et les êtres humains et à la mondialisation qui diffuse rapidement les infections, les antibiotiques sont de plus en plus impuissants contres les bactéries multi-résistantes aux médicaments (MRM), qualifiées de ‘super-bactéries’. Depuis l’identification du Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) en 1961, les super-bactéries ont évolué au point de devenir une menace mondiale. En 2016, une déclaration de l’Assemblée générale des Nations Unies a averti que d’ici l’année 2050, 10 millions de personnes pourraient mourir chaque année d’infections causées par des super-bactéries, pour un total cumulatif de 100 trillions, à moins que des mesures d’urgences ne soient prises. Avec moins de sociétés pharmaceutiques disposées à investir dans de nouveaux antibiotiques, qui peuvent prendre des années à être développés, comment lutter contre la crise des super-bactéries ?
Nous décrivons un effort international pour sauver la vie d’un des auteurs (Tom Patterson) d’une infection bactérienne SARM potentiellement fatale. La solution a été la phagothérapie– un remède oublié datant d’une centaine d’années.
Notre histoire n’est pas conventionnelle pour plusieurs raisons, et elle est dramatique sur un plan tout aussi personnel que mondial. En novembre 2015, deux d’entre nous (Steffanie Strathdee et Tom Patterson, mari et femme, chercheurs) étions en vacances en Égypte, quand Tom est tombé gravement malade et a été touché d’une pancréatite biliaire. Le temps d’être transporté et admis aux soins intensifs de Thornton hospital à l’UC San Diego (UCSD), il avait développé un abcès abdominal important, infecté par le SARM Acinetobacter baumannii – une super-bactérie désignée par l’OMS comme le premier « agent pathogène critique prioritaire » et comme une menace pour la santé humaine.
La souche qui avait infecté Tom était devenue résistante à tout antibiotique qu’il pouvait tolérer. Il était trop faible pour une chirurgie. Les docteurs tentèrent de drainer ses abcès avec des cathéters abdominaux. Cependant, le drain interne glissa dans la cavité abdominale de Tom, répandant le fluide infecté dans son système sanguin, et causant un choc septique. On le mit sous ventilateur et on lui administra plusieurs médicaments pour empêcher une défaillance cardiaque. Pendant deux mois, il plongea dans des périodes de coma, alors que son corps tentait désespérément de lutter contre l’infection.
Se rendant compte que son mari était en train de mourir, Steffanie explora des thérapies alternatives. Il y a une centaine d’années, les chercheurs avaient découvert des virus qui attaquent les bactéries (bactériophages ou phages). Les phages sont des organismes les plus anciens et les plus nombreux de la planète, résidant dans nos microbiomes et en grands nombres dans les eaux usées. Les premières études de phagothérapie signalaient un certain succès mais perdirent de leur popularité avec la découverte de la pénicilline, à part dans certaines parties de l’Europe de l’Est.
La phagothérapie n’est pas autorisée aux États-Unis. Ne se laissant pas décourager pour autant, Steffanie contacta son collègue, Chip Schooley, Chef des maladies infectieuses à l’UC San Diego, qui faisait partie de l’équipe de soins de Tom. Il accepta de tenter la phagothérapie si elle réussisait à trouver des phages actifs contre la bactérie de Tom.
Steffanie contacta directement des chercheurs dans le domaine des phages pour leur demander de l’aide. Ry Young, directeur du Centre de technologie des phages au Texas A&M, fit appel à des membres du laboratoire dont Jason Gill et Adriana Hernandez-Morales qui testèrent l’effet de leur banque de phages et d’environ 100 échantillons environnementaux (provenant d’eaux résiduaires) sur la bactérie isolée de Tom. Ry lança également une « chasse aux phages » internationale. Les réactions ont été extraordinaires.
Des chercheurs de Belgique, de Suisse, de la république de Géorgie et de sociétés de biotechnologie aux États-Unis et en Inde ont volontairement offert des phages. Un fonctionnaire de la FDA mit Chip en contact avec le lieutenant-commandant Theron Hamilton, directeur de la recherche de défense biologique du centre de recherche médicale de la Marine, qui accepta également d’offrir son aide. Au bout de trois semaines, chacune des équipes de Ry et de Theron avait préparé des cocktails de quatre phages correspondant à l’isolat bactérien de Tom. Carl Merril, un chercheur retraité des instituts américains de la santé (NIH), nous donna des conseils sur le dosage et les voies d’administration. Des collègues de L’Université d’État de San Diego (dont Jeremy Barr et Forest Rowher) purifièrent les phages selon les spécifications de la FDA.
Le 15 mars 2016, Tom était au bord de la défaillance multiviscérale mais, heureusement, les phages étaient prêts et la FDA accorda d’urgence une approbation pour une nouvelle drogue de recherche d’urgence (EIND). L’équipe de l’UC de San Diego commença à injecter le cocktail phage « Texas » dans les cathéters abdominaux de Tom, et deux jours plus tard, elle infusa les phages « Marine » dans son système sanguin.
Le 20 mars, Tom se réveilla et commença à se rétablir. Quand son isolat bactérien devenu résistant aux premiers cocktails phage, l’équipe « Marine » généra et purifia un second cocktail phage en quelques jours.
Tom est considéré comme le premier cas documenté du succès d’une phagothérapie intraveineuse, utilisée pour le traitement d’une infection super-bactérienne systémique aux États-Unis. Son infection a été éliminée après trois mois de phagothérapie et il est complètement rétabli.
Nous pouvons tirer de nombreuses leçons de ce cas extraordinaire.
Premièrement, la phagothérapie mérite un nouveau regard en tant que traitement personnalisé potentiel contre les infections bactériennes SARM. Plus de recherches cliniques de base sont nécessaires pour créer une avancée dans ce domaine et de nouvelles voies règlementaires sont nécessaires pour superviser l’usage thérapeutique des phages et d’autres produits naturels.
Deuxièmement, les établissements hospitaliers et les agences de financement doivent dépasser leurs préjugés contre les traitements non conventionnels tels que la phagothérapie, qui a commencé à être étudiée avant l’émergence de la science clinique moderne et de la biologie moléculaire.
Troisièmement, les sociétés pharmacologiques et biotechniques sont vivement encouragées à examiner comment l’administration simultanée de phages et d’antibiotiques pourrait être synergique.
Finalement, nous approuvons la déclaration de l’Assemblée générale des Nations Unies appelant à des efforts multisectoriels et intersectoriels (par exemple, médecine humaine et vétérinaire, agriculture, financement, environnement, industries et consommateurs) pour faire face à la crise mondiale super-bactérienne.
Notre histoire d’une action internationale réussie visant à sauver la vie d’un homme en mobilisant l’expertise de trois universités, des forces américaines, de la FDA, d’un réseau de recherche mondial et du secteur privé est un exemple de diplomatie en santé mondiale. Les défis les plus urgents de la santé mondiale demandent des mécanismes qui peuvent rapidement employer des acteurs à de multiples niveaux et utiliser des moyens créatifs pour surmonter les obstacles logistiques qui peuvent entraver le progrès pour la réalisation d’objectifs communs.
Avec la menace croissante posée par la résistance antimicrobienne, des millions de vies sont en jeu, surtout dans les pays à revenus faibles et intermédiaires qui sont les plus durement touchés par les infections super-bactériennes. Notre expérience avec l’histoire étrange de la phagothérapie ramène cette ancienne cure souvent oubliée au premier plan. Il est temps de « tourner la phage » sur les antibiotiques.