Qu’est-ce qui permet de renforcer la lutte contre la pauvreté ? Les auteurs de cet article présentent de nouveaux résultats sur la variation globale de la réduction de la pauvreté depuis l’adoption des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) en 2000. Les auteurs concluent que l’adoption d’objectifs de développement pourrait ne pas être suffisante pour éradiquer la pauvreté. Les conditions institutionnelles au niveau national jouent un rôle important, étant donné que les pays en développement ayant une efficacité optimale peuvent réduire la pauvreté liée au revenu plus rapidement que les pays les moins efficaces.
Les progrès dans la lutte contre la pauvreté constituaient un élément central des défis stratégiques définis dans les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) en 2000. En 2013, le taux d’extrême pauvreté ne représentait plus que le tiers du taux de 1990.
Toutefois, selon World Poverty Clock (horloge mondiale de la pauvreté), près d’un milliard de personnes dans le monde ne pourront pas échapper à la pauvreté d’ici 2030 – le taux de sortie actuel est de 0,5 personne par seconde contre un objectif de 1,6. Cet objectif demeure essentiel dans le cadre du programme successeur des OMD, à savoir les objectifs de développement durable (ODD), qui sont officiellement entrés en vigueur au début de 2016.
Les ODD sont un instrument utile de la gouvernance mondiale qui encourage les pays à agir, avec l’ambition d’éradiquer complètement l’extrême pauvreté dans le cadre de l’ODD 1. Cependant, l’adoption d’objectifs de développement est-elle suffisante pour éradiquer la pauvreté, ou d’autres conditions de gouvernance sont-elles nécessaires au niveau national ? Dans cet article, nous examinons de nouvelles preuves expliquant pourquoi certains pays parviennent à réduire la pauvreté liée au revenu plus rapidement que d’autres, en tirant des leçons d’expériences récentes.
Dans une nouvelle étude du Effective States and Inclusive Development Centre (ESID) (Centre pour les États efficaces et le développement inclusif) aujourd’hui publiée dans World Development (développement mondial), nous examinons le rôle des OMD et la « capacité des États » dans l’accélération de la réduction de la pauvreté. La capacité des États renvoie à l’efficacité des organismes gouvernementaux dans la collecte et la dépense des impôts et l’exécution des politiques publiques.
Nous concluons que l’adoption des OMD a permis d’accélérer la réduction de la pauvreté. Toutefois, nous concluons également que dans les pays les plus efficaces, la pauvreté liée au revenu a été réduite à une vitesse beaucoup plus rapide. Ceci explique pourquoi les pays étaient plus susceptibles d’atteindre l’OMD 1 : réduire la pauvreté de moitié. Nos estimations montrent que les pays ayant les capacités les plus grandes peuvent réduire la pauvreté liée au revenu deux fois plus vite que les pays ayant de faibles capacités.
Nous avons analysé un échantillon de 89 pays en développement entre 1990 et 2013 et notre étude s’est déroulée en trois étapes.
En premier lieu, nous montrons si, et à quelle vitesse, les économies en développement à niveau de pauvreté plus élevés ont enregistré une réduction plus importante de leur taux de pauvreté, de manière à réduire l’écart avec les économies dont le niveau de pauvreté est plus faibles – convergence de la pauvreté. Nous le faisons en utilisant les mesures internationales standards : l’incidence de la pauvreté et l’écart de pauvreté, à 1,25 USD et 2 USD par jour. Nous concluons que l’incidence de la pauvreté et l’écart de pauvreté diminuent plus rapidement dans les pays ayant au départ des taux élevés de pauvreté liée au revenu.
Est-ce une bonne nouvelle ? Oui, mais qu’est-ce qui explique cette convergence dans les mesures de la pauvreté liée au revenu ? L’adoption des OMD y est-elle pour quelque chose ?
La deuxième étape de notre analyse a permis de trouver une réponse, en examinant si le processus de convergence s’est accéléré après 2000. Après avoir analysé les cas des pays ayant des performances anormales, nous constatons que tel est le cas, ce qui montre que l’adoption des OMD a contribué à renforcer la réduction de la pauvreté.
Ceci explique vraisemblablement la pression que les pays ont subie pour concevoir et exécuter les programmes de lutte contre la pauvreté. Les Documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté sont, par exemple, devenus des éléments de routine des plans de développement nationaux.
Cependant, il existe toujours d’importantes variations non expliquées dans les performances en matière de réduction de la pauvreté entre les pays. Comme le montre la figure 1, bien que les estimations se rapprochent des tendances d’une grande partie de notre échantillon, elles n’expliquent pas la situation d’un certain nombre de pays, qui, même s’ils présentent des niveaux de pauvreté initiale similaires, affichent d’importantes variations dans leurs résultats en matière de réduction de la pauvreté.
Comparons, par exemple, les deux groupes de pays suivants : Lesotho, Madagascar, Nigeria et Zambie ; avec Cambodge, Chine, Indonésie et Vietnam. Les ratios initiaux de dénombrement de la pauvreté à 1,25 dollar par jour étaient similaires dans les deux groupes. Pourtant, le dernier groupe a réussi à réduire la pauvreté, alors que le premier n’a pas pu le faire.
Figure 1. Niveau de pauvreté initial par rapport au changement ultérieur (mesures d’incidence)
Source : Asadullah et Savoia (2018) “Poverty Reduction During 1990–2013: Did Millennium Development Goals Adoption and State Capacity Matter?”, World Development 105: 70–82.
Qu’est-ce qui explique ces disparités ? Cela pourrait-il refléter les différences de conditions de gouvernance au niveau national, telles que les capacités étatiques ? La troisième et dernière étape de notre analyse aborde cette question.
Les capacités institutionnelles sont plus importantes lorsque les dirigeants ont davantage de limites dans l’exercice de leur pouvoir. C’est le cas lorsque le pouvoir exécutif est limité par un système institutionnalisé de freins et contrepoids.
Ces capacités institutionnelles sont également importantes dans les pays étant souverains depuis plus longtemps. Dans ces cas, la capacité d’un pays à résoudre les problèmes de coordination et à fournir les biens et services à ses citoyens est renforcée par les effets de l’apprentissage par la pratique.
Nos résultats montrent peu de preuves que l’imposition de contraintes sur le pouvoir exécutif accélère la réduction de la pauvreté (sans écarter ce canal). Cependant, ils montrent clairement que les pays souverains depuis plus longtemps et ayant une grande capacité à administrer leurs territoires enregistrent une réduction plus rapide de la pauvreté. Ces pays étaient plus susceptibles d’atteindre l’objectif OMD de réduire la pauvreté de moitié.
Le paramètre de convergence dans le groupe de pays étant souverains depuis plus longtemps – Cambodge, Chine, Indonésie, Turquie et Vietnam – est estimé à environ le double de la taille de celui du groupe étant souverains depuis moins longtemps – Lesotho, Swaziland, Zambie et Zimbabwe (voir la figure 2). Il convient de noter que la plupart d’entre eux sont les pays présentés précédemment dans la figure 1 comme des cas où les performances en matière de réduction de la pauvreté ne pouvaient pas être expliquées – même lorsqu’on prend en compte l’effet de l’adoption des OMD.
Figure 2. Vitesse de la convergence à différents niveaux de capacité d’État (seuil de 1,25 dollar US par jour)
Source: Asadullah et Savoia (2018) ‘Poverty reduction during 1990–2013: Did Millennium Development Goals adoption and state capacity matter?’, World Development, Volume 105, Pages 70-82.
Quelles sont les implications de nos résultats ?
Premièrement, le contexte institutionnel joue un rôle important dans l’accélération de la réduction de la pauvreté. L’adoption de nouveaux objectifs de développement, même s’ils sont ambitieux, pourrait ne pas être suffisante. Elle devrait s’accompagner de capacités suffisantes en matière de conception et d’exécution des stratégies de réduction de la pauvreté au niveau national.
Deuxièmement, étant donné que l’ODD 16 incorpore aujourd’hui des aspects liés à l’efficacité de l’État (voir les cibles 16.5, 16.6 et 16.7), nos résultats fournissent une explication empirique de ce choix. Ceci signifie que pour l’horizon 2030, la réforme des institutions publiques pourrait se révéler doublement bénéfique. Il s’agit d’un processus graduel, qui n’intervient pas du jour au lendemain. Il est cependant important de développer les capacités institutionnelles, parce que cela fait partie d’un processus de développement politique à long terme qui pourrait avoir des effets durables au-delà des ODD.
Troisièmement, un élément clé de la stratégie visant à accélérer la réduction de la pauvreté en utilisant des capacités d’État plus fortes nécessite des améliorations dans l’efficacité des organismes gouvernementaux dans la collecte et la dépense des impôts et l’exécution des politiques publiques. Étant donné les incertitudes qui entourent la disponibilité de l’aide au développement, cela permettra de renforcer l’utilisation efficace des ressources internes.