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Soutien public aux politiques de lutte contre les inégalités : le poids de l’incertitude

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Annalena Oppel

De nombreux gouvernements ont répondu au choc économique causé par la pandémie par une expansion sans précédent des politiques d’aide sociale. En outre, avec l’augmentation des inégalités, le besoin de mesures redistributives est appelé à augmenter. Pourtant, les fortes inégalités et les croyances de plus en plus répandues selon lesquelles les inégalités sont le produit des différences de talent et d’efforts semblent entraîner une baisse plutôt qu’une hausse de la demande publique de redistribution. Une compréhension opportune de ce qui sous-tend le soutien populaire aux politiques de réduction des inégalités est cruciale pour construire des États-providence capables de réagir aux chocs à venir.

La crise provoquée par la pandémie de Covid-19 a accru les inégalités de revenus dans le monde, tant au sein des pays qu’entre eux. Dans le même temps, les recherches montrent que dans les pays où l’inégalité est importante, les individus ont tendance à y consentir plutôt qu’à la critiquer. Cette tendance s’explique par la conviction croissante que les inégalités reflètent uniquement le talent et les efforts d’un individu. Ces croyances méritocratiques se traduisent également par une baisse de la demande de politiques visant à lutter contre les inégalités de la part de la population.

Ce paradoxe d’une inégalité croissante associée à une préoccupation de plus en plus faible de l’opinion publique aboutira-t-il à une situation ou les politiques sociales seront moins nombreuses ou plus sélectives ? Comment concilier cette tendance avec l’appel récent à étendre et à renforcer les systèmes de protection sociale pour faire face aux crises futures ?

Une façon d’approcher cette question est de reconnaître que les systèmes de croyances ne sont pas figés. Au contraire, ils sont influencés par les expériences, les situations et les rencontres. L’incertitude économique générée par la pandémie a remis en question la « normalité » établie. Elle a entraîné une perte de stabilité générale à cause de changements imprévus dans la vie des gens.

Notre récente enquête auprès des jeunes Sud-Africains le confirme : 71 % des personnes interrogées ont estimé que leurs activités génératrices de revenus étaient moins stables. Le même constat s’applique à leur épargne mensuelle, leurs investissements et leur santé mentale.

En outre, les inégalités existantes expliquent souvent qui subit quels types de chocs. Dans le cas de l’Afrique du Sud, les personnes vivant dans la pauvreté ont perdu la possibilité de transformer leur vie quotidienne de manière positive.

Dans le même temps, les gouvernements ont répondu aux chocs économiques dont ont été victimes les ménages et les entreprises par une expansion sans précédent des politiques d’aide. En 2020, 955 politiques d’aide sociale ont été initiées au niveau mondial.

Des bases de données et des projets de recherche tels que le Covid-19 Government Response Tracker ou CoronaNet mettent à jour, consolident et évaluent en permanence les réponses aux crises afin de comprendre leur efficacité, notamment pour améliorer les résultats en matière de santé. La rupture du statu quo, associée à des innovations politiques, s’est également traduite par la volonté de « reconstruire en mieux » ou de revenir à une « nouvelle normalité ».

L’incertitude engendrée par les événements récents a-t-elle modifié la manière dont les individus expliquent les inégalités ? Comment perçoivent-ils et soutiennent-ils les changements politiques actuels ?

Ces considérations sont importantes pour les votes à venir, alors que les États-providence et leur conception constituent un élément essentiel des programmes politiques. Elles sont également importantes car la pandémie ne constitue pas un événement isolé. Avec le changement climatique et les conflits politiques, de futures crises économiques d’impact similaire sont susceptibles de se produire.

Il y a des raisons de croire que l’incertitude nous rappelle des développements qui échappent à notre contrôle. Cela peut aller à l’encontre des croyances méritocratiques liées à un sens accru de la liberté individuelle qui mettent l’accent sur nos actions et nos talents pour expliquer notre position dans l’échelle économique.

En effet, notre enquête montre que les Sud-Africains qui se sont retrouvés dans une situation de plus grande incertitude – exprimée sous forme d’inquiétude générale, d’anxiété à l’idée de faire des projets et d’un moindre optimisme quant à l’avenir en raison de la pandémie – ont également attribué une moindre part de leurs succès à des raisons méritocratiques.

L’incertitude générale peut également avoir entraîné une prise de conscience ou une augmentation de l’intérêt pour les inégalités, par exemple avec la demande de meilleurs salaires pour les travailleurs essentiels. Des recherches antérieures soulignent que le comportement « pro-social » augmente lorsque nos évaluations de l’incertitude ne portent pas uniquement sur les résultats futurs seuls, mais également sur la question de savoir si ces résultats peuvent avoir des conséquences négatives pour les autres.

Une fois encore, nos résultats suggèrent que les Sud-Africains ayant connu une plus grande incertitude se sont montrés plus favorables à des politiques d’aide sociale plus étendues et universelles.

Mais l’incertitude peut jouer un double rôle. Si elle peut mettre en évidence certains défis économiques – que connaissent de nombreuses personnes ou que l’on rencontre au quotidien – elle peut amoindrir la prise de conscience d’autres défis auxquels sont confrontés moins de personnes ou celles qui se trouvent en marge de la société.

Bien qu’il puisse y avoir un élan en faveur d’un plus grand soutien populaire pour les politiques de lutte contre les inégalités et en faveur des aides sociales, un examen approfondi des personnes considérées comme des « bénéficiaires dignes » dans la conception des politiques est vital pour éviter les partis pris politiques, l’exclusion et l’exacerbation des inégalités existantes. Ceci est particulièrement important pour les politiques d’aide sociale face aux chocs, où une grande variété de besoins doit être reconnue rapidement et de manière adéquate.

 

Annalena Oppel
Leverhulme Early Career Fellow, LSE