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Comment une meilleure utilisation des preuves et des rapports de recherche plus transparents pourraient sauver des vies

7 min

by

Hugh Sharma Waddington

Une critique courante des évaluations d’impact (tels que les essais randomisés) est qu’elles ne mesurent pas ce qui est déterminant pour la prise de décision. Cet article montre comment la synthèse des preuves peut s’appuyer sur les données tirées des essais – et même aller au-delà – pour aider à surmonter ce problème, à travers l’exemple de la mortalité infantile dans la campagne de promotion de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène (WASH). Nos résultats fournissent les premières estimations de la mortalité liée à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène dans le cadre de la « charge mondiale de morbidité » et proposent des avantages probables d’une meilleure utilisation des données existantes sur d’autres sujets. Ils ont également des implications importantes pour les rapports de recherche, en montrant quelles preuves les chercheurs peuvent fournir pour aider à sauver des vies. 

Les interventions politiques visant à promouvoir de meilleures pratiques au niveau de la gestion de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène (WASH) ont été analysées dans de nombreuses études. Mais les preuves sont-elles collectées, rapportées et utilisées de la manière la plus efficace possible pour répondre à l’objectif ultime de sauver des vies ?

Le résultat le plus couramment mesuré dans les évaluations de l’impact du programme WASH est de loin la morbidité, en particulier les maladies infantiles liées à la diarrhée. Nous le savons parce que nous avons rassemblé les données des 500 études sur les effets des approches promotionnelles WASH, dans une carte présentant les résultats du programme.

Mais la majeure partie de la charge mondiale de la morbidité (Global Burden of Disease ou GBD) est due à la mortalité infantile, dont les deux causes principales sont la diarrhée et les infections respiratoires. 

Par exemple, comme le montre le tableau 1, 90 % de la GBD liée à la diarrhée est due aux décès chez les moins de cinq ans, tandis que pour les infections respiratoires, elle est de 99 %. Cela est logique si l’on tient compte du fait que les années de vie perdues – le produit du nombre de décès et de l’espérance de vie à l’âge du décès – seront les plus importantes pour les jeunes enfants ; alors qu’en dehors des épidémies, chaque enfant n’est susceptible de connaître que quelques épisodes de maladie par an.

Chaque année, on estime à 1,2 million le nombre de décès dans le monde dus à la diarrhée et aux infections respiratoires, causés par un système WASH inadéquat.

Tableau 1 : La charge mondiale de la morbidité est principalement due à la mortalité

Cause

Années de vie perdues à cause de la mortalité (pour 100 000)

Années de vie avec incapacité en raison de la morbidité (pour 100 000)

Infection respiratoire aiguë

1,300

10

Diarrhée

960

100

Source : données du GBD 2016.

Les données recueillies dans les évaluations d’impact telles que les essais randomisés fournissent des preuves cruciales sur la façon dont les programmes peuvent faire ce qu’il faut pour garantir l’accès et le fonctionnement d’installations WASH améliorées, et donc prévenir les infections et les décès. Mais les études individuelles sont souvent incapables d’en mesurer les bons résultats ou d’en démontrer les effets, comme cela s’est produit dans les récents essais à grande échelle au Bangladesh, au Kenya et au Zimbabwe.

Il semble donc que la plupart des évaluations d’impact ne mesurent pas ce qu’elles devraient. Elles collectent des données sur les maladies déclarées par les soignants parce qu’elles sont plus faciles à mesurer. Mais on sait que les données sur les maladies déclarées sont biaisées : les personnes qui s’occupent des enfants peuvent faire de fausses déclarations sur la maladie pour bénéficier de plus de subventions (ou peut-être pour se débarrasser des enquêteurs). En revanche, la mortalité déclarée n’est pas biaisée car, bien sûr, les participants à l’étude ne déclarent pas à tort le décès d’un enfant.

Alors pourquoi les études se concentrent-elles sur la morbidité plutôt que sur la mortalité ? En partie parce qu’il est difficile de concevoir des essais infirmiers avec des échantillons de taille suffisante pour détecter des effets statistiquement précis sur la mortalité. C’est là que la synthèse des preuves est nécessaire, en particulier la méta-analyse statistique, qui regroupe les données de plusieurs études pour améliorer la puissance statistique.

Nous avons utilisé une approche innovante pour estimer les données de mortalité des études en récoltant les résultats des organigrammes des participants. Selon CONSORT (voir figure 1), les flux de participants doivent être rapportés de manière transparente dans les essais, afin de permettre la vérification des méthodes utilisées. Par exemple, une source commune de partialité dans les essais provient des pertes différentielles de suivi en dehors de l’étude (attrition). Il convient de connaître le taux d’attrition et ses raisons (par exemple, le décès de participants).

Figure 1 : Comment présenter les diagrammes de flux des participants de manière transparente

Source :  http://www.consort-statement.org/consort-statement/flow-diagram  

Nous avons récolté les données des 41 essais de la carte des preuves WASH ayant rapporté les flux de participants, pour estimer la mortalité, toutes causes confondues, résultant de l’amélioration du système WASH. Neuf autres essais ont rapporté la mortalité due à la diarrhée.

En regroupant les données à l’aide d’une méta-analyse, nous avons constaté une réduction de 15 % de la mortalité toutes causes confondues et de 50 % de la mortalité due à la diarrhée, directement reliée à l’amélioration du système WASH. Même si aucune étude n’a pu, à elle seule, détecter un effet significatif sur la mortalité, la synthèse des preuves a été concluante, démontrant ainsi que la méta-analyse peut non seulement se baser sur les essais, mais aussi les dépasser pour générer des preuves cruciales pour les politiques publiques.

Les interventions favorisant l’hygiène domestique étaient les plus systématiquement associées à une réduction de la mortalité toutes causes confondues, tandis que les interventions promouvant l’assainissement et l’hygiène à l’échelle de la communauté étaient les plus systématiquement associées à la mortalité due à la diarrhée.

Ces résultats sont cohérents avec ce que l’on sait des mécanismes de transmission des maladies infectieuses : l’hygiène des mains est un frein aux maladies respiratoires et à la diarrhée, qui sont les deux principales composantes de la mortalité toutes causes confondues chez l’enfant dans les milieux à faible revenu ; parallèlement, l’assainissement à l’échelle de la communauté stoppe la propagation de la diarrhée due à la défécation en plein air.

Par conséquent, la transparence des rapports n’est pas seulement cruciale pour la responsabilisation, mais elle est également importante pour l’apprentissage, en permettant de mesurer les bons résultats et de prendre les bonnes décisions pour sauver des vies.

Il existe des normes pour la communication des résultats des essais depuis au moins les années 1990 dans le domaine de la santé et 2010 dans celui des sciences sociales, et de nombreux auteurs et revues communiquent désormais ces informations. Mais on constate des décalages dans les pratiques des communautés de recherche qui produisent des essais autour du système WASH : les flux de participants ont été rapportés dans environ la moitié des essais de santé, mais sont encore presque entièrement absents dans les sciences sociales comme l’économie (voir Figure 2).

Alors que les revues de sciences sociales sont plus susceptibles d’exiger que les ensembles de données soient accessibles au public, afin de pouvoir calculer les pertes de suivi, cela ne suffit pas pour évaluer d’autres sources de biais dans les études (par exemple, le biais de sélection individuelle dans les essais randomisés en grappes).

Figure 2 : Le compte rendu des flux de participants peut être facilement amélioré

Les implications sont claires : pour les décideurs, utiliser des preuves systématiques collectées à partir de toutes les études pertinentes, et non des études uniques, afin d’éclairer leurs décisions. Pour les responsables, utiliser les cartes de données comme point de départ d’une synthèse de recherche pertinente pour définir les politiques, et non comme une fin en soi. Pour les communautés de recherche, exiger la communication des flux de participants depuis l’inscription jusqu’au suivi final, par groupe d’étude, ainsi que les raisons de l’attrition.

Nous prévoyons une « collaboration d’auteurs » pour collecter des données sur les flux de participants afin de présenter des estimations de mortalité plus complètes. Je serais ravi de communiquer avec des chercheurs souhaitant participer à cet exercice afin de mieux utiliser les données existantes pour sauver des vies.

 

Hugh Sharma Waddington
Assistant professor, LSHTM and London International Development Centre