Science, finance et innovation

Gérer la volatilité des prix des produits de base : une idée pour les pays exportateurs

5 min

by

Jeffrey Frankel

Le change flexible aide les pays en voie de développement à gérer l’instabilité des prix des produits de base qui forment leurs exportations principales. Mais l’absence d’un ancrage de monnaie, laisse l’économie sans référence  à la politique monétaire. Cette chronique propose un régime de taux de change alternatif : le « Currency-plus-Commodity Basket (CCB) » qui ancre la monnaie non seulement à un panier de devises des principaux partenaires commerciaux, mais aussi aux produits de base. Le but serait d’obtenir les bénéfices à la fois des taux de changes flexibles  et des taux fixes.

Depuis le début du siècle, les pays se spécialisant dans le pétrole, les minéraux et les produits agricoles de base ont souffert d’une volatilité des prix mondiaux particulièrement élevés pour leurs exportations. De grandes remontées des prix (2004–08 et 2010–12) ont alterné avec des retournements (2008–9 et 2014–16). La volatilité des prix d’exportation figure parmi les nombreuses causes de la fameuse « malédiction des ressources naturelles ». (Frankel, 2012, enquête sur cette malédiction et les solutions possibles.)

Un économiste serait tenté de poser les questions suivantes: Où est la défaillance du marché ? Où est la nécessité d’une politique gouvernementale ? Une réponse serait qu’en pratique, les marchés financiers semblent incapables de tenir le rôle intemporel de lissage que la théorie demande d’eux. Le flux des capitaux vers les pays en développement exportateurs de produits de base ont d’ailleurs tendance à être pro-cycliques plutôt que contra-cyclique ; cela est peut-être dû au fait que les créanciers veulent une garantie sous forme de devises gagnées par les exportations de produits de base. Une autre réponse serait que le « laissez-faire » n’est pas une option quand il s’agit de politique monétaire ; Croire aux marchés libres n’est pas suffisant pour guider les autorités concernant le fixement ou le flottement libre du taux de change.

La sagesse conventionnelle dit que la volatilité des termes de l’échange, toutes choses égales par ailleurs, rend un pays moins adapté à ancrer sa monnaie, et plus adapté à un régime de change flottant qui permet au taux de change de s’adapter aux chocs des termes de l’échange.

Un taux de change fixe peut rendre la politique monétaire pro-cyclique : les envolées des cours des produits de base sont associées à l’afflux d’argent, l’expansion rapide du crédit, la surchauffe de l’économie réelle, l’inflation des biens et services non exportés, les bulles immobilières et d’autres actifs. Inversement, les chutes brutales des produits de base sont associées au déficit de la balance des paiements, à la perte des réserves, à la raréfaction du crédit, à la récession, et à des crises monétaires ou financières. Un taux de change flexible permet une adaptation aux chocs commerciaux et par conséquent une politique monétaire contre-cyclique. Avec un taux de change flottant librement, quand le prix mondial du produit de base exporté diminue, menaçant de créer des difficultés d’équilibre extérieur et une récession, la monnaie se déprécie automatiquement pour atténuer ces problèmes.

La recherche empirique semble appuyer la généralisation des manuels qui affirment que les exportateurs de produits de base aux prix volatiles accomplissent de meilleurs résultats avec des taux flottants qu’avec des taux fixes. Broda (2004), Edwards et Levy-Yeyati (2005), Rafiq (2011), et Céspedes et Velasco (2012) en sont des exemples. Céspedes and Velasco, par exemple, ont examiné les cycles d’expansion-récession des produits de base dans 107 pays majeurs, et ont trouvé que plus la perte de production due à une baisse du prix donné est faible, plus le taux de change est flexible.

D’autre part, fixer son taux de change a ses avantages. Cela offre une transparence et une prévisibilité au quotidien, et un ancrage qui rendrait crédible les promesses de stabilité des prix de la banque centrale. Une telle crédibilité est particulièrement nécessaire dans les pays en voie de développement. Si le taux de change n’est pas une référence pour la politique monétaire, qu’est ce qui pourrait l’être ?

Envisagez un régime de taux de change alternatif (voir Frankel, 2008), que j’appelle le « Currency-plus-Commodity Basket (CCB) », ou « panier de devises et de produits de base ». Il est particulièrement utile pour les pays comme le Koweït qui ciblent actuellement un panier de devises majeures tels que le dollar et l’euro. La proposition du CCB ajoute le produit de base exporté au panier de devises. Si le dinar koweïtien était ancré à un panier qui donnait un tiers de son poids au dollar, un tiers à l’euro et un tiers au pétrole, la valeur de la devise monterait et baisserait automatiquement avec la valeur du baril de pétrole. Parmi les pays du Golfe, les fluctuations du solde extérieur et du solde intérieur au cours des années 2001–2016 peuvent être attribuées à l’incapacité de leur taux de change de s’ajuster face aux augmentations et diminutions des prix du pétrole ; ce que la proposition CCB aurait délivré automatiquement (Frankel, 2018). L’argument en faveur du CCB pour un pays exportateur de produits de base est qu’il offre le meilleur des taux variables ainsi que le meilleur des taux fixes : une adaptation automatique aux chocs commerciaux avec un ancrage stable et transparent.

 

Jeffrey Frankel
Harvard University and GlobalDev Advisory Board Member