Uncategorized

L’efficacité des mesures financières d’incitation au vote

6 min

by

Mariella Gonzales, Gianmarco León and Luis Martinez

Le faible taux de participation électorale suscite des inquiétudes quant à la représentativité des élus et à la légitimité des élections. Cet article étudie l’impact des mesures financières visant à inciter les électeurs à voter sur le taux de participation et la représentation. Des données provenant du Pérou, où le vote est obligatoire depuis les années 1930, indiquent que si la réduction des amendes pour abstention fait baisser le taux de participation, elle a un impact négligeable sur les résultats électoraux dans des contextes où les obstacles à la participation sont peu nombreux. Cette observation est pertinente même pour les pays où le vote est libre, et qui pourraient offrir ce type d’incitations au vote par le biais de réductions d’impôts, de remises sur les services publics ou de dons directs.

« Si tout le monde votait, cela changerait les choses – cela neutraliserait l’argent plus que quoi que ce soit d’autre. » C’est ce qu’a déclaré l’ancien président américain Barack Obama dans un discours de 2015. Dans les démocraties, le vote est le principal outil des citoyens pour s’assurer que les politiques gouvernementales représentent leurs intérêts et pour demander des comptes aux responsables publics. Des événements tels que l’introduction du vote électronique au Brésil ou la loi sur le droit de vote aux États-Unis montrent qu’une participation électorale plus élevée affecte de manière significative la représentation et les résultats politiques.

Pourtant, la participation électorale a diminué dans le monde entier au cours des 30 dernières années. Dans de nombreux pays d’Amérique, par exemple, près de la moitié de l’électorat n’a pas voté lors des dernières élections présidentielles. Qui plus est, nous ignorons si des politiques publiques à grande échelle permettraient vraiment de mobiliser les électeurs.

Tout d’abord, certains facteurs prédictifs les plus fiables de la participation électorale (comme la météo) ne sont pas immédiatement exploitables par les pouvoirs publics. Deuxièmement, bien qu’un vaste ensemble de recherches sur les actions de mobilisation des électeurs (telles que Get-Out-The-Vote) ait fourni des données substantielles, la plupart correspondent à des expériences de courte durée menées au sein de périmètres géographiques limités. Les politiques à grande échelle sont affectées par des problématiques variées qu’il est difficile d’étudier par le biais de ces expériences.

Alors, comment pouvons-nous augmenter la participation électorale à grande échelle ? Cela affectera-t-il la représentation ?

Et pourquoi pas une amende pour abstention ?

De nombreux militants politiques ont suggéré de rendre le vote obligatoire, d’imposer des amendes pour abstention ou d’offrir des incitations financières au vote. Dans une étude récente, nous examinons les réponses des électeurs aux incitations financières offertes par le gouvernement du Pérou, un pays à revenu intermédiaire comptant plus de 20 millions d’électeurs.

Le vote est obligatoire au Pérou depuis 1933, et ceux qui ne votent pas se voient restreindre l’accès aux services gouvernementaux et doivent payer une amende. Il n’est donc pas surprenant que le taux de participation ait régulièrement dépassé 80 %. Jusqu’en 2006, le montant de l’amende était le même dans tout le pays et relativement élevé (environ 90 dollars).

Cette année-là, une réforme a classé les districts en trois catégories (amende élevée, moyenne et faible) et réduit l’amende selon des modalités différentes : 45, 23 et 11 dollars, respectivement. Cette réforme était un compromis entre le désir de préserver les niveaux élevés de participation électorale attribués au vote obligatoire et les préoccupations relatives à la crainte qu’une amende élevée et homogène n’affecte de manière disproportionnée la population la plus démunie.

Une comparaison des circonscriptions ayant des niveaux d’amende différents avant et après la réforme révèle qu’une amende plus faible fait baisser la participation électorale. La figure 1 présente le taux de participation moyen dans les circonscriptions à forte et faible amende (par rapport aux circonscriptions à amende moyenne lors du second tour de l’élection présidentielle de 2006). Lors des élections qui ont suivi la réforme (2011 et 2016), nous estimons qu’une réduction de l’amende de 10 sol péruviens (environ 3 dollars) entraîne une baisse de 0,5 point de pourcentage de la participation.

FIGURE 1

Les politiques « sauvages » ne fonctionnent pas de la même manière que les expériences rigoureuses

Notre estimation est nettement inférieure à celle d’une expérience sur le terrain menée dans le même contexte, qui impliquait une campagne d’information en porte-à-porte sur la modification de la valeur de l’amende. Il n’est pas rare que les interventions expérimentales connaissent une telle « chute de tension » lorsqu’elles sont transposées à plus grande échelle. Souvent, c’est le résultat de changements dans la qualité ou dans les incitations proposées au personnel, ou encore les risques liés à la mise en œuvre d’un programme à très grande échelle.

Nous supposons (et démontrons) que les éléments de frictions informationnelles jouent un rôle important – par exemple, le fait que les électeurs ne soient pas au courant du changement de réglementation. Il s’agit d’un problème omniprésent qui affecte les politiques qui modifient les règles régissant l’interaction des citoyens avec l’État sans communiquer les changements de manière adéquate.

Les incitations monétaires ne sont pas indispensables au bon fonctionnement du vote obligatoire

Les personnes âgées de 70 ans ou plus sont exemptées du vote obligatoire au Pérou. La figure 2 montre le taux de participation électorale par groupe d’âge (par rapport à l’âge moyen de 69 ans) en 2016. Alors que les sexagénaires ont un taux de participation à peu près constant, celui-ci diminue de façon spectaculaire pour les personnes âgées de 70 ans ou plus, mais uniquement au Pérou et pas au Chili voisin (où le vote n’est pas obligatoire).

Nos estimations indiquent qu’une suppression totale de l’amende entraînerait une baisse de la participation de 18 % seulement par rapport à celle résultant de cette exemption d’âge. Cela suggère que les incitations non financières (par exemple, la « fonction expressive de la loi ») sont les principaux moteurs de l’efficacité du vote obligatoire.

 

FIGURE 2

Lorsque le vote est facile, la réduction du montant de l’amende n’affecte presque pas les résultats électoraux

Nous constatons qu’une plus faible amende pour abstention entraîne une diminution des votes blancs ou nuls. Pour 10 votes supplémentaires dus à une amende plus élevée, nous constatons que 8,6 votes sont blancs ou non valides. Nos résultats suggèrent que dans un contexte où les citoyens sont confrontés à peu de barrières à la participation électorale (inscription automatique, vote le dimanche, etc.), l’abstention est le fait d’électeurs insatisfaits, mal informés ou peu intéressés. Les obliger à voter n’a guère d’incidence sur la représentation.

Néanmoins, les pays dans lesquels le taux de participation reste préoccupant sont nombreux, malgré l’absence d’obstacles significatifs (par exemple, seulement 54 % lors de l’élection présidentielle de 2018 en Colombie). Dans le cas de ces pays, nos résultats suggèrent que rendre le vote obligatoire peut être un instrument puissant pour promouvoir la participation électorale, même avec des amendes très faibles qui n’accablent pas ceux qui ne s’y soumettent pas.

 

Autheur.e.s:

Mariella Gonzales est doctorante à la Harris School of Public Policy de l’Université de Chicago. Ses principaux domaines d’intérêt sont le développement et l’énergie et l’environnement. 

Gianmarco León est professeur assistant à l’UPF, professeur affilié au Barcelona GSE et chercheur affilié à l’IPEG. Ses recherches portent sur l’économie politique dans les pays en développement et plus largement sur l’économie du développement. 

Luis Martinez est professeur adjoint à la Harris School of Public Policy de l’Université de Chicago. Ses principaux intérêts de recherche portent sur l’analyse des institutions politiques dans les pays en développement, avec un accent régional sur l’Amérique latine. 

 

Mariella Gonzales
PhD student, University of Chicago
Gianmarco León
Affiliated Professor, Barcelona GSE
Luis Martinez
Assistant Professor, University of Chicago