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L’impôt minimum mondial : une opportunité pour les économies en développement

6 min

by

Kudzai Mataba

Aujourd’hui, la pertinence de l’utilisation de mesures d’incitation fiscale en tant qu’outil de promotion des investissements pour attirer les multinationales est de plus en plus remise en question, en particulier dans les pays en développement où les mesures d’incitation basées sur les bénéfices imposent des coûts importants sur la base des recettes fiscales. Cet article examine l’opportunité offerte par l’impôt minimum mondial proposé par l’OCDE pour que les gouvernements repensent l’utilisation, le modèle et la diversité des avantages fiscaux offerts aux investisseurs étrangers.

Dans de nombreux pays en développement, les incitations fiscales sont considérées comme un outil essentiel pour promouvoir les investissements étrangers – et mon pays, le Zimbabwe, ne fait pas exception. Cependant, les incitations fiscales représentent des coûts importants pour l’économie nationale, raison pour laquelle cette question me tient personnellement à cœur.

Pour la seule année 2020, le manque à gagner imputable aux incitations fiscales a été estimé à 346 millions de dollars, alors que le budget total de la santé s’élevait à 684 millions de dollars. Les résultats sont maigres : dans toutes les régions du Zimbabwe, les incitations fiscales n’ont pas été accompagnées d’une augmentation comparable de l’investissement direct étranger.

Cette expérience et d’autres similaires, ailleurs, suggèrent que les économies en développement doivent repenser leur utilisation des mesures d’incitation fiscale. Mais il est difficile de réformer la politique fiscale d’un pays : ces incitations sont souvent intégrées dans des lois sur l’investissement, des traités, des contrats et des accords commerciaux qui ne peuvent être modifiés unilatéralement. La dynamique qui se développe autour de l’impôt minimum mondial proposé par l’OCDE offre aux gouvernements l’occasion de revoir leurs incitations fiscales.

Qu’est-ce que l’impôt minimum mondial ?

En octobre 2021, 137 membres du Cadre inclusif OCDE/G20 se sont mis d’accord sur une « solution à deux piliers » visant à lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices par les multinationales. Cette initiative a été motivée par la nécessité de relever les défis fiscaux liés à la numérisation.

Le premier pilier vise à étendre les droits d’imposition des pays qui accueillent des multinationales qui n’y sont pas physiquement présentes. Le deuxième pilier vise à instaurer un impôt minimum mondial applicable aux bénéfices des grandes entreprises multinationales (EMN) dont le chiffre d’affaires consolidé est égal ou supérieur à 750 milliards d’euros.

L’impôt minimum mondial sera mis en œuvre principalement par le biais d’une règle qui permettra aux pays d’origine des EMN d’imposer un impôt complémentaire à ces entités si elles sont soumises à un taux d’imposition inférieur à 15 % dans n’importe quelle juridiction.

Pourquoi est-ce important pour les économies en développement ?

Alors que de nombreuses économies en développement appliquent des taux d’imposition sur les sociétés supérieurs à 15 %, l’utilisation de mesures d’incitation fiscale permet souvent de réduire le taux réel (effectif) auquel les entreprises multinationales sont imposées. Dans ce système, les gouvernements qui renoncent à des recettes grâce à l’extension des incitations fiscales verront ces mêmes recettes perçues par une autre juridiction, ce qui rendra les incitations inefficaces.

Les pays seront concernés par ces règles, qu’ils soient ou non membres du cadre inclusif, tant que les pays d’origine des entreprises multinationales appliquent les règles. L’interaction entre l’impôt minimum mondial et les incitations fiscales devrait revêtir une importance particulière pour les économies en développement. En général, ces pays ont tendance à offrir davantage d’incitations fiscales basées sur les bénéfices, telles que les exonérations fiscales, qui s’avèrent plus préjudiciables à l’assiette fiscale que les incitations basées sur les dépenses.

La mise en œuvre prochaine de ces règles, en 2024, devrait donner aux économies en développement un levier de négociation pour réformer leur utilisation des incitations fiscales. Le fait que toutes les entreprises multinationales seront soumises à un impôt minimum de 15 %, quel que soit l’endroit où elles opèrent, devrait également modifier l’importance que les EMN accordent à la disponibilité d’allègements de l’impôt sur le revenu des sociétés lorsqu’elles prennent des décisions d’investissement.

Comment l’impôt minimum mondial affectera-t-il l’utilisation des mesures d’incitations fiscales ?

L’interaction entre les incitations fiscales et l’impôt minimum mondial ne sera pas uniforme. Chaque pays concerné devra évaluer l’impact des mesures d’incitations fiscales particulières qu’il offre aux entreprises multinationales opérant sur son territoire.

Les gouvernements devront d’abord identifier la présence d’entreprises multinationales dans le champ de l’impôt sur leur territoire, puis déterminer le taux d’imposition effectif à appliquer. Si les entreprises du champ de l’enquête sont soumises à un taux d’imposition effectif inférieur à 15 %, le pays risquera de perdre des recettes.

D’une manière générale, les mesures d’incitation basées sur les bénéfices, telles que les exonérations fiscales, réduiront considérablement le taux d’imposition effectif auquel est soumise une entreprise multinationale et seront donc susceptibles d’entraîner le paiement d’impôts au titre de l’impôt minimum mondial. D’autres types d’incitations fondées sur les bénéfices, telles que les taux réduits ou l’allègement des retenues à la source, sont moins susceptibles d’entraîner un supplément d’impôt significatif.

Les incitations fondées sur les dépenses, telles que les reports d’impôts et les périodes de report prolongées, sont encore moins susceptibles d’entraîner le paiement d’impôts supplémentaires, car elles ne créent généralement qu’un décalage dans le paiement de l’impôt et n’entraînent pas de réduction permanente de l’impôt. D’autres mesures d’incitation fondées sur les coûts, telles que les charges sociales, les réductions de l’impôt foncier et les exonérations d’impôts indirects comme la TVA, ont été exclues du champ d’application des règles.

Les incitations fiscales peuvent être utilisées efficacement pour promouvoir l’investissement. Elles peuvent permettre aux gouvernements d’attirer des capitaux mobiles, d’améliorer la productivité et d’offrir un soutien sectoriel dans des industries stratégiques.

Par exemple, les Philippines et la Malaisie ont été en mesure d’exploiter la valeur des mesures d’incitation fiscale en surveillant le comportement des entreprises en réaction à l’octroi de mesures d’incitation et en les liant à des exigences spécifiques en matière de performance. Ces pays ont également donné la priorité aux incitations fiscales liées aux salaires et aux incitations qui réduisent les coûts de production.

Les économies en développement peuvent profiter de l’adoption de l’impôt minimum mondial pour revoir leur utilisation des incitations fiscales et stimuler la mobilisation des ressources nationales. Elles doivent écarter les mesures trop généreuses, mal conçues, non contrôlées et non liées à des exigences de performance claires.

Les réformes nationales et toute renégociation nécessaire avec les investisseurs doivent s’appuyer sur le fait que si les recettes fiscales ne sont pas perçues par les pays accueillant les investissements, elles resteront dues dans les pays d’origine des entreprises multinationales.

Le Zimbabwe et d’autres gouvernements disposent d’une marge de manœuvre politique dans le cadre de l’impôt minimum mondial pour remplacer les incitations fiscales érodant l’assiette par d’autres mesures qui seront moins préjudiciables à leurs efforts de mobilisation des recettes et plus efficaces pour attirer les investissements. Ils ne doivent pas laisser passer cette occasion.

L’Institut international du développement durable (IIDD) et l’International Senior Lawyers Project (ISLP) ont élaboré un guide pour aider les pays en développement à s’adapter et à comprendre l’impôt minimum mondial, accessible ici.

Kudzai Mataba
Analyste politique, Forum intergouvernemental sur l'exploitation minière