Dans le monde en développement, l’exploitation économique des terres, faite sans prendre en compte le capital naturel et culturel lié à la gestion des écosystèmes, suscite de nombreuses préoccupations. Cet article se penche sur les défis posés, par le marché ou l’État, à la viabilité des systèmes de gestion communaux traditionnels dans le contexte écologique des zones arides et semi-arides appelées « pâturages ». La prise en compte adéquate de la valeur économique des services écosystémiques qu’offrent les pâturages pourrait accroître la compétitivité de la gestion collective par rapport à la propriété privée ou publique – tout en favorisant la préservation de ces zones essentielles de la surface terrestre face à la menace de dégradation de l’environnement.
Malgré la valeur des services écosystémiques qu’offrent les pâturages, notamment en tant que source de nourriture et d’habitat pour le bétail et la faune, leur gestion est compromise par la destruction de l’environnement. Les facteurs liés à l’activité humaine jouent un rôle considérable dans la réduction de la capacité des écosystèmes des pâturages à répondre à d’importants besoins écologiques, sociaux, culturels et économiques. Cet article explore les résultats d’une recherche sur l’efficacité des politiques qui visent à les protéger, ainsi que l’impact potentiel d’une action collective.
Que sont les pâturages ?
Les pâturages sont des écosystèmes composés de végétation indigène et/ou naturalisée utilisés pour la pâture ou le broutage par les animaux sauvages et domestiques. Leur gestion se limite au pâturage, au brûlage et au contrôle des plantes ligneuses.
Les estimations de la part des pâturages varient considérablement, entre 18 et 80 % de la surface terrestre. Cette variation trouve son explication dans les différentes définitions du mot « pâturage » et dans la source des données. La Society for Range Management fournit des estimations de l’étendue mondiale des principaux types de végétation des pâturages : 42 % de prairies, 23 % de zones arbustives et 12 % de zones boisées, les autres types de végétation représentant 23 % de la surface terrestre.
Au Kenya, les pâturages se trouvent dans les terres arides et semi-arides, qui représentent plus de 80 % de la superficie totale du pays. Ces zones abritent environ 38 % de la population kenyane et plus de 90 % de la faune sauvage, pilier du tourisme national. Les terres arides et semi-arides rassemblent également environ 70 % du bétail du pays, dont la valeur est estimée à 70 milliards de shillings kényans (environ 70 millions de dollars US).
Pourquoi les pâturages sont-ils importants ?
Les écosystèmes des pâturages, comme d’autres ressources naturelles, assurent des fonctions essentielles d’approvisionnement, de soutien, de régulation mais aussi des fonctions culturelles, tant de façon directe qu’indirecte. Le bénéfice direct principal des pâturages est leur contribution en tant que source de nourriture et d’habitat pour le bétail et la faune.
Mais les écosystèmes offrent également d’importants bénéfices écologiques, qui vont de la protection des sols fragiles à la fixation du dioxyde de carbone, en passant par la création d’un habitat pour la faune et la flore sauvages et la création de bassins versants. Parmi les autres avantages, on peut citer les bénéfices culturels, tels que la beauté esthétique et la stimulation intellectuelle, la possibilité de créer des terrains d’entraînement militaire, des sites religieux et des lieux de loisirs, entre autres.
Possibilités de gestion des pâturages
Les systèmes de gestion des ressources des pâturages peuvent être communautaires, privés, ou bien contrôlés par l’État. La gestion communautaire est définie par l’utilisation et la propriété collectives des ressources naturelles, principalement les pâturages et l’eau, et la propriété individuelle du bétail. La propriété privée est caractérisée par la propriété exclusive des ressources, y compris la terre, tandis que sous la propriété de l’État, les ressources naturelles sont légalement contrôlées par l’État.
La gestion communautaire des ressources naturelles dans le cadre de systèmes de propriété collective a amélioré la structuration de l’utilisation des pâturages par rapport à la propriété privée et publique, en particulier en ce qui concerne l’équité et la durabilité des ressources.
Les accords communautaires de gestion des ressources offrent à ceux qui en sont partie prenante plusieurs moyens de subsistance en leur donnant accès à plus de terres, et donc à de l’eau et à des pâturages à la fois pendant la saison sèche et la saison des pluies. Cette gestion permet de maintenir l’équilibre nécessaire pour préserver la fonction écologique des diverses surfaces.
En outre, les droits collectifs régissant l’usage des pâturages permettent une répartition plus équitable des ressources variables et s’accompagnent d’économies significatives sur les transactions et les coûts de production.
Les défis de la gestion durable des ressources communes
Bien que les systèmes traditionnels de gestion collective soient adaptés au contexte écologique des zones arides et semi-arides, leur viabilité s’amoindrit avec l’augmentation de la compétitivité sur le marché, la croissance démographique, la moindre appréciation des systèmes traditionnels à l’ère moderne et le renforcement des compétences.
Outre la nécessité d’accéder aux marchés et les pressions exercées par le nombre croissant de personnes ayant droit à une part d’une ressource foncière fixe, les nouvelles possibilités offertes par la libéralisation du marché font peser une menace sérieuse sur les pâturages dans les pays en développement.
La nécessité « d’internaliser les externalités » résultant de l’augmentation des opportunités sur le marché et des changements des prix relatifs, a été une force motrice majeure qui a mené à des droits de propriété exclusifs sur la plupart des pâturages du monde en développement. D’autre part, de plus grandes compétences permettent aux ménages de sortir de la gestion collective des ressources des pâturages. Mais alors que le renforcement des compétences libère les exploitants et leur permet de poursuivre leurs intérêts, leurs efforts ont un impact sur les bénéfices individuels, sans pour autant profiter à tous.
L’affaiblissement de la gestion collective des ressources a eu pour effet des changements sans précédent dans la gestion des terres, en particulier dans les pâturages les plus fertiles, c’est-à-dire les terres semi-arides. Les pâturages restants ont donc une variabilité écologique moindre que celle dont ils auraient besoin compte tenu du contexte écologique.
Les processus combinés de subdivision, d’exclusion et d’inhibition provoqués par les changements de régime de gestion exacerbent les processus de dégradation de l’environnement. Les terres marginales restantes sont utilisées de manière intensive au-delà de leurs capacités, ce qui entraîne en fin de compte une augmentation des niveaux de pauvreté et d’insécurité, les exploitants se disputant des ressources en déclin.
Faciliter les systèmes de gestion durable
Une comptabilisation adéquate de la valeur économique des services écosystémiques qu’offrent les pâturages devrait permettre de mettre en évidence la compétitivité de la gestion collective par rapport à la gestion privée ou publique. Cela permettrait d’augmenter la part des systèmes de gestion collectifs et ainsi de diversifier les moyens de subsistance de ceux qui y participent.
Les avantages économiques liés à la gestion collectives des pâturages, au-delà des activités traditionnelles, sont nombreux : commerce du carbone, production d’énergie solaire/éolienne, commerce de produits indigènes, tourisme et financement des services écosystémiques. En outre, un système de récompenses à court terme pourrait apporter des bénéfices individuels aux personnes associées à la gestion collective des ressources des pâturages, et ainsi encourager cette dernière.
Cette récompense pourrait prendre différentes formes : accès aux marchés des produits des pâturages, accès à l’information sur les prix du marché en temps quasi réel, aide à l’autonomisation des exploitants pour leur permettre de profiter de marchés de niche, aide au renforcement des compétences des groupes locaux via des services de vulgarisation, des « écoles pratiques d’agriculture » et des formations professionnelles, ou encore le renfort d’acteurs externes issus du secteur privé.
Les stratégies de gestion durable des ressources des pâturages, en particulier dans les zones où elles sont déjà mises à rude épreuve, nécessitent une gestion modulable. Les investissements dans des pratiques innovantes, telles que la conservation du fourrage et l’établissement de pâtures, sont susceptibles d’améliorer la résilience des écosystèmes et d’atténuer les risques inhérents aux contraintes de ressources.
Il a été démontré que des programmes comme l’assurance du bétail basée sur un indice protègent les ressources et les habitants des pâturages. Ils devraient donc être étendus au-delà des zones pilotes. Enfin, les accords d’occupation des terres dont les intérêts se heurtent devraient être valorisés pour faire face aux conditions naturelles et économiques, en particulier pendant les périodes de sécheresse.