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Prise en charge du VIH au Mozambique après un conflit, le Covid-19 et des catastrophes naturelles

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Santé et hygiène

Prise en charge du VIH au Mozambique après un conflit, le Covid-19 et des catastrophes naturelles

11 min

by

Ludmila Massango, Aneesa Solwa, Dionisia Balate, Ingyin Moe, Lyasmin Boukich, Sarah Pechtl and Giacomo Dentoni

En cas de catastrophe naturelle ou de toute autre crise, le manque de continuité dans la prise en charge des personnes vivant avec le VIH peut avoir des conséquences désastreuses. Cet article rend compte de l’expérience du Mozambique qui a cherché à maintenir son efficacité dans le traitement du VIH en dépit de divers chocs défavorables au cours des dix dernières années. Les enseignements tirés de la réponse de ce pays peuvent contribuer à éclairer l’élaboration des politiques de santé ailleurs en Afrique subsaharienne et au-delà.

Plus de 30 ans se sont écoulés depuis que le VIH/SIDA est apparu comme l’une des menaces les plus importantes pour la santé mondiale. Depuis lors, les progrès scientifiques accomplis dans les connaissances de base et les traitements du virus ont fait de cette maladie autrefois mortelle une maladie chronique. Si les personnes recevant des thérapies antirétrovirales (TAR) peuvent désormais espérer vivre plus longtemps, les barrières socio-économiques et les inégalités géographiques font de l’accès aux TAR l’une des plus grandes difficultés de la prise en charge du VIH dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Les objectifs « 90-90-90 » des Nations unies pour la lutte contre le VIH prévoyaient que, d’ici 2020, 90 % des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) connaissent leur statut sérologique, que 90 % d’entre elles reçoivent un traitement et que 90 % des personnes sous traitement aient une charge virale nulle. Ces objectifs ambitieux ont depuis été actualisés pour devenir les objectifs « 95-95-95 » d’ici à 2030.

L’accent est mis sur l’Afrique subsaharienne : alors que la région n’abrite que 12 % de la population mondiale, elle est responsable de plus de 70 % de la charge mondiale des infections par le VIH.

Par le passé, chaque pays a déployé une stratégie de soins différente pour cibler le VIH. En 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a adopté une politique de « traitement universel », selon laquelle toutes les « personnes vivant avec le VIH » (PVVIH) doivent être mises sous traitement antirétroviral, indépendamment de leur statut immunologique ou clinique. Cette politique a été mise en œuvre à des degrés divers en Afrique subsaharienne.

Le Mozambique, où 2,2 millions de personnes vivent actuellement avec le VIH, affiche l’une des proportions les plus élevées de décès attribuables au VIH/sida dans la région. La prévalence du VIH est plus élevée chez les femmes (15 %) que chez les hommes (9,5 %), l’inégalité des sexes et la violence sexiste contribuant à ces différences.

Des progrès substantiels ont été réalisés dans le traitement et la prévention du VIH au Mozambique, en particulier dans la prévention des transmissions de la mère à l’enfant, ce qui a permis d’atteindre une efficacité de plus de 90 % pour les femmes enceintes et de réduire le taux de transmission verticale à moins de 12 % en 2021.

Mais les événements anthropiques et naturels survenus à partir de 2013 ont jeté un doute sur la possibilité d’atteindre les objectifs d’éradication du VIH d’ici 2030. En effet, le Mozambique a été confronté à diverses menaces internes et externes qui ont entraîné des pressions accrues sur un système de santé déjà fragile, notamment en ce qui concerne la prise en charge du VIH.

Catastrophes naturelles

Selon le rapport d’évaluation mondiale des Nations unies sur la réduction des risques de catastrophe, le Mozambique est le troisième pays d’Afrique le plus vulnérable aux risques de catastrophe. Le pays subit des cyclones tropicaux, des inondations et des sécheresses qui se sont intensifiés au cours de la dernière décennie. En 2013, les inondations ont déplacé plus de 180 000 personnes dans la province de Gaza, et en 2015, 56 000 personnes supplémentaires ont été contraintes de se réinstaller dans la province de Zambézia.

Plus récemment, en 2019, les cyclones Idai et Kenneth ont dévasté Beira, la deuxième ville du pays, ainsi que les provinces de Nampula et de Zambézia. On estime que 1,85 million de personnes ont été touchées, que 400 000 ont été déplacées à l’intérieur du pays et que 19 établissements de santé ont été entièrement ou partiellement détruits.

Les catastrophes humanitaires peuvent être dévastatrices pour les PVVIH. L’impossibilité de suivre un traitement antirétroviral, la malnutrition, les infections opportunistes et les épidémies peuvent accroître la morbidité et la mortalité de cette population. La perte des moyens de subsistance associée aux catastrophes peut également pousser les femmes et les filles à avoir des relations sexuelles transactionnelles, augmentant ainsi leur risque d’exposition au VIH.

On estime à 350 000 le nombre de PVVIH habitant les régions touchées par les cyclones de 2019, qui se sont retrouvées coupées des services de soins de santé primaires et incapables d’accéder aux traitements antirétroviraux. Après la dévastation, le ministère de la Santé a mené une évaluation rapide des besoins dans les zones touchées. Les résultats montrent que les patients ont manqué des rendez-vous et se sont retrouvés à court de TAR, sans compter la destruction des dossiers et la rupture des stocks de préparations principalement pédiatriques et de médicaments TAR de deuxième intention.

Une mobilisation rapide des ressources a tout de même eu lieu au Mozambique. Une étude décrit la réussite de la remise en place des services de lutte contre le VIH précédemment mis en œuvre. Le nombre de volontaires des services de santé a été multiplié par trois après le passage de l’ouragan, entraînant la création d’un nouvel outil de collecte électronique des données pour éviter toute perte et améliorer le suivi.

Dans le même temps, les ONG ont mené des missions dans les centres d’hébergement, où des équipes fixes de santé/VIH ont été déployées pour fournir des services de dépistage et de traitement antirétroviral aux personnes dont le test était positif. Des cliniques mobiles et des agents de santé communautaires ont été envoyés dans les zones difficiles d’accès pour localiser les personnes séropositives perdues de vue.

Bien que des retards aient été signalés, les patients ont exprimé des avis positifs sur la réponse du gouvernement. Les PVVIH et les médecins ont souligné que l’introduction de la prestation de services différenciés (DSD) en 2018 – une approche centrée sur les patients qui simplifie et adapte les services VIH pour refléter leurs préférences, attentes et besoins – a été très utile pour éviter les interruptions de traitement. La DSD comprenait la délivrance plurimensuelle (MMD) de traitements antirétroviraux allant jusqu’à trois mois pour les patients VIH stables, des groupes communautaires de traitement antirétroviral et des approches centrées sur la famille.

Même si l’on ne dispose pas d’un tableau complet de l’effet des cyclones sur les soins du VIH, il est indéniable que les catastrophes consécutives ont fragilisé le système de santé du Mozambique. Avec l’aide de bailleurs de fonds et d’institutions internationales, le gouvernement a préservé le maintien de services flexibles pour le traitement du VIH, ce qui montre l’importance de la DSD pour les patients comme pour les cliniciens.

Mais malgré le nombre élevé d’infections par le VIH, les premiers rapports sur les cyclones Idai et Kenneth publiés par l’OMS en 2019 ne faisaient pas référence à une augmentation potentielle des risques de VIH après le déplacement. Les futurs plans de préparation aux catastrophes devraient souligner l’importance de placer les services VIH au premier plan, d’autant plus que ces soins n’étaient jusqu’à présent pas inclus dans les structures de gestion des catastrophes et des urgences du pays.

Covid-19

La pandémie de Covid-19 est un autre événement qui a entravé la prestation de services liés au VIH. Les PVVIH sont exposées de manière exponentielle aux infections au Covid-19 et aux complications qui en découlent, tout en étant confrontées à des difficultés d’accès aux vaccins. Par conséquent, les pays où le VIH est endémique, comme le Mozambique, ont dû s’efforcer d’atténuer l’exposition des PVVIH au Covid-19 tout en poursuivant leurs efforts pour fournir les soins VIH indispensables. Les directives actualisées de l’OMS concernant les services liés au VIH pendant le Covid-19 ont souligné l’importance du DSD et de l’adaptation des services de santé pour répondre aux besoins des PVVIH.

Le Mozambique a rapidement mis en œuvre des changements de politique afin de permettre la fourniture optimale de TAR aux personnes sous traitement pendant la pandémie. Ces changements comprenaient l’éligibilité au DSD après trois mois de TAR, l’abandon des critères d’éligibilité pour la suppression de la charge virale, l’inclusion de groupes précédemment exclus tels que les femmes enceintes et allaitantes, et l’extension de la MMD jusqu’à six mois.

Le Mozambique a également intensifié ses efforts en matière de fourniture de TAR à l’échelon communautaire pendant la pandémie, avec des modèles de groupes dirigés par des patients assurant une fourniture ininterrompue de TAR selon le principe de la distanciation sociale. En outre, la distribution plurimensuelle de médicaments antirétroviraux a été intégrée à d’autres programmes de distribution de médicaments.

Bien que les recherches soient limitées quant à l’impact du Covid-19 sur les services de lutte contre le VIH au Mozambique, les premiers commentaires laissaient présager des conséquences désastreuses. Mais ces prédictions négatives ne semblent pas s’être matérialisées. En effet, une étude axée sur l’exécution des programmes de lutte contre le VIH montre des tendances positives en ce qui concerne le nombre de personnes recevant des traitements antirétroviraux (+12,6 %) et le pourcentage de personnes présentant une suppression virale (+7,6 %) entre janvier et décembre 2020.

Un autre rapport constate que le Covid-19 a eu un effet négatif transitoire sur les services de lutte contre le VIH de janvier/mars 2020 à avril/juin 2020, suivi d’un rétablissement rapide et de tendances positives en matière de dépistage du VIH (+12,5 %), de personnes nouvellement initiées aux TAR (21,2 %) et de nombre de personnes sous TAR (9,9 %) d’avril/juin 2020 à juillet/septembre 2020.

Ces études soulignent que l’expansion des modèles de DSD et d’autres innovations, notamment la distribution de médicaments et de TAR dans la communauté, est la principale raison de la réussite de la lutte contre le VIH. Mais si le DSD a été identifié comme une stratégie vitale dans la prestation des soins de santé liés au VIH, on ne sait toujours pas quels modèles sont les plus pertinents dans différents contextes et populations, en raison du manque d’évaluation et d’études de rentabilité.

Alors que toutes ces études étaient principalement basées sur les donateurs, aucune donnée n’est disponible sur la situation globale des programmes VIH financés par le gouvernement. En effet, des rapports récents évaluant l’ensemble de la région d’Afrique australe indiquent une diminution du nombre de tests VIH en même temps qu’une augmentation du pourcentage de tests positifs entre 2019 et 2020, ainsi qu’une diminution de la couverture du TAR. Des études seraient nécessaires pour suivre les tendances à long terme de l’infection par le VIH dues aux confinements, et pour évaluer le paysage global du VIH après la pandémie de Covid-19 au Mozambique.

Conflit et terrorisme

La situation dans la province septentrionale de Cabo Delgado est l’une des plus instables du Mozambique. En octobre 2017, un conflit intense a éclaté dans la région, qui a contraint près d’un million de personnes à fuir la région. En raison du conflit en cours lié à un groupe armé affilié à l’État islamique (ISIS), Al-Shabab, un tiers des établissements de santé de la province du nord ont été endommagés ou contraints de fermer, limitant ainsi la couverture sanitaire de la population.

La province a une prévalence du VIH estimée à 11,4 % chez les adultes. Les perturbations du système de santé ont particulièrement touché les PVVIH. En raison de la destruction et de la fermeture des établissements de santé dans la province du nord, plus de 2,2 millions de PVVIH ne reçoivent aucun traitement. Les femmes et les filles sont exposées à de multiples formes de violence sexiste dans les contextes de déplacement et à une propension accrue à se livrer à des relations sexuelles transactionnelles pour survivre, accroissant le risque d’infection par le VIH.

Le gouvernement et les ONG ont investi dans des services de santé mobiles pour assurer la continuité de la chaîne d’approvisionnement en produits essentiels à la lutte contre le VIH, dans des points de prestation de services à guichet unique pour la santé sexuelle et reproductive et dans des services de lutte contre la violence sexiste. Des agents de santé communautaires ont également été formés pour dispenser des messages sur la prévention et le traitement du VIH/TB et des messages de sensibilisation pour réduire la stigmatisation entourant le VIH.

Jusqu’à présent, aucune étude n’a été réalisée sur la manière dont ces mesures d’atténuation ont aidé les PVVIH et l’évolution du VIH dans les régions touchées par le conflit. Les ONG ont tiré la sonnette d’alarme sur le fait qu’une résurgence de la violence dans la province du Nord nécessite une énorme réponse humanitaire qui fait actuellement défaut, tout en soulignant l’importance du suivi du VIH.

Conclusions

L’ONUSIDA a récemment averti que les objectifs mondiaux en matière de VIH ne seraient pas atteints si les progrès dans la lutte faiblissent. Lors de la 7e reconstitution du Fonds mondial, les gouvernements ont renouvelé leur engagement à lutter contre les trois maladies les plus meurtrières – la tuberculose, le paludisme et le VIH – en réunissant 14,25 milliards de dollars, soit le montant le plus important jamais réuni pour ce fonds.

L’absence de continuité des soins pour les personnes vivant avec le VIH pendant les catastrophes et les crises a des conséquences délétères, notamment l’aggravation de leur état, l’arrêt des progrès cliniques et la résistance aux traitements antirétroviraux. Les perturbations observées lors des crises mondiales peuvent être atténuées par une formation à la préparation, une mobilisation rapide des services locaux et un renforcement immédiat des structures existantes.

De telles actions ont été observées lors de catastrophes naturelles, du Covid-19 et de conflits au Mozambique. Elles ont non seulement permis d’éviter directement l’interruption complète des soins aux patients atteints du VIH, mais aussi d’atténuer les effets de la catastrophe sur la santé et le bien-être général de la communauté. L’expansion du DSD, l’inclusion de stratégies d’atténuation des effets du VIH en tant que piliers de la gestion des catastrophes et des situations d’urgence, et le suivi des tendances du VIH seront fondamentaux pour les prochaines étapes de la lutte du pays contre le VIH/sida.

 

Ludmila Massango
MSc student, Karolinska Institutet
Aneesa Solwa
Researcher, Polygeia
Dionisia Balate
Researcher, Polygeia
Ingyin Moe
Researcher, Polygeia
Lyasmin Boukich
Researcher, Polygeia
Sarah Pechtl
Researcher, Polygeia
Giacomo Dentoni
Project Editor, Polygeia