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Retraite anticipée : le déclin éventuel des fonctions cognitives et du capital humain

5 min

by

Plamen Nikolov

Travailler moins peut entraîner une réduction du stress et une amélioration de l’alimentation et des conditions de sommeil. Mais cela peut aussi conduire à une baisse de la participation aux activités sociales et à la diminution de l’acuité mentale. Cet article présente des preuves que l’impact négatif de la retraite anticipée pourrait dépasser de loin ses effets positifs, et étudie les politiques qui pourraient ralentir le déclin des fonctions cognitives et du capital humain des groupes plus âgés.

Comment les politiques publiques, et plus particulièrement les régimes de retraite, affectent-elles le bien-être des personnes qui décident de prendre une retraite anticipée ? Les régimes de retraite causent-ils des préjudices dont les décideurs politiques doivent tenir compte ? Les avantages non négligeables que ces programmes peuvent apporter – tels qu’une meilleure santé physique, moins de stress et plus de temps pour les loisirs – valent-ils la perte éventuelle de qualité de vie causée par un déclin cognitif plus rapide ?

Dans une étude récente, nous avons constaté que les personnes qui prennent une retraite anticipée peuvent souffrir d’un déclin cognitif accéléré et risquent même d’être confrontées à l’apparition précoce de la démence. Notre recherche examine les effets d’un vaste programme de retraite dans la Chine rurale.

Le capital humain et sa potentielle dépréciation

Pour la plupart des gens, le capital signifie un compte bancaire, un millier d’actions Apple ou des machines dans les usines et les commerces. Mais ces formes tangibles de capital physique ne sont pas le seul type de capital économique. Une formation scolaire, un cours d’informatique ou des cours sur les vertus de la ponctualité et la gestion d’équipe peuvent également constituer une forme de capital – le « capital humain ».

Le capital humain englobe grosso modo les compétences et les capacités des travailleurs individuels qui composent une économie. Il comporte de nombreuses dimensions : scolarité, santé, compétences cognitives et non cognitives.

Le capital humain, et son rapport avec des revenus plus élevés et une vie meilleure, a longtemps fasciné les économistes. Cependant, historiquement, la recherche économique s’est principalement concentrée sur les causes de l’accumulation du capital humain dans les premières années de la vie.

Les causes et les conséquences de la dépréciation du capital humain à la fin de l’âge adulte ont fait l’objet d’une attention nettement moindre, si ce n’est nulle. Mais des découvertes en neuropsychologie suggèrent que le cerveau humain est malléable et peut se développer même à un âge plus avancé.

Une meilleure compréhension des causes de la dépréciation du capital humain à l’âge adulte entraîne d’importantes conséquences économiques. Le fonctionnement cognitif est crucial dans la prise de décision car il influence la capacité d’un individu à traiter l’information. Bien qu’un certain déclin cognitif semble être un effet secondaire inévitable du vieillissement, un déclin cognitif plus rapide peut avoir des conséquences négatives sérieuses sur la vie d’une personne.

Il est donc primordial d’examiner les causes des troubles cognitifs à la fin de l’âge adulte. Une meilleure compréhension de ces causes peut aider à élaborer de meilleures politiques sociales. Il est particulièrement important de comprendre le rôle que les politiques de retraite peuvent jouer dans le développement des capacités cognitives au cours de la vieillesse.

La retraite anticipée peut-elle accélérer le déclin cognitif qu’entraîne la vieillesse ?

Notre étude se penche sur cette question en utilisant des données provenant de Chine pour examiner les effets d’un programme de retraite sur le déclin cognitif chez les personnes qui prennent une retraite anticipée. 

La Chine a introduit le nouveau régime de retraite rural (NRPS) en 2009 pour alléger les pressions démographiques et les inquiétudes concernant la pauvreté des personnes âgées. Il s’agit d’un programme de retraite volontaire basé sur les cotisations : les retraités qui atteignent l’âge de 60 ans et qui ont cotisé à ce régime peuvent recevoir une pension de base du gouvernement et une partie de leurs propres cotisations au solde du compte.

Une nouvelle source de données – l’étude longitudinale de la santé et de la retraite en Chine (CHARLS), qui recueille des données représentatives au niveau national sur les personnes âgées de 45 ans et plus – permet d’examiner comment la retraite anticipée influence plusieurs aspects des performances cognitives.

Notre analyse se concentre sur deux domaines cognitifs essentiels : la mémoire épisodique, qui collecte les éléments de l’intelligence fluide ; et l’état mental intact, qui capte à la fois l’intelligence fluide et l’intelligence cristallisée.

Sans bouger, vous rouillez

Les résultats indiquent que le NRPS a un effet négatif significatif sur la cognition chez les personnes âgées de 60 ans et plus. La retraite anticipée a une influence négative sur toutes les mesures de la cognition : le rappel immédiat, le rappel différé et le rappel total des mots. Le déclin mental équivaut à une réduction de l’intelligence générale de la population de 1,7%.

Étant donné que les programmes de retraite visent à assurer le bien-être des adultes vieillissants, cette constatation est alarmante. Pire encore, l’effet négatif le plus important concerne les mesures du rappel différé, dont la recherche neurologique démontre qu’elles sont des indicateurs très précis de la démence.

Quelles leçons pour la politique

Quels sont les mécanismes potentiels qui peuvent expliquer le déclin des performances cognitives chez les jeunes retraités ? Le programme a permis d’augmenter les revenus de certaines personnes, réduisant ainsi les incitations à rester sur le marché du travail. 

Quitter la vie professionnelle pourrait en soi entraîner d’énormes avantages pour les personnes concernées : réduction du stress, amélioration de l’alimentation personnelle et des habitudes de sommeil en général. Mais travailler moins pourrait également avoir des effets négatifs non désirés : moins d’engagements dans des activités sociales et une acuité mentale réduite.

En somme : sans bouger, vous rouillez. L’impact négatif de la retraite anticipée dépasse de loin les effets positifs.

Ces conclusions appellent un examen plus approfondi du rôle que les programmes de retraite peuvent jouer dans l’accélération de la dépréciation du capital humain à la fin de l’âge adulte. Les déficiences cognitives chez les personnes âgées, même si elles ne sont pas gravement débilitantes, entraînent une perte de qualité de vie et peuvent avoir des conséquences fâcheuses.

Les politiques qui visent à ralentir le déclin cognitif chez les personnes âgées sont susceptibles d’engendrer de grandes retombées positives pour la société.

 

Plamen Nikolov
Assistant Professor, State University of New York