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Viabilité des politiques budgétaires : l’expérience du Kenya

7 min

by

Hellen Chemnyongoi

Il est communément admis que la viabilité budgétaire implique des politiques de finances publiques qui favorisent la croissance économique, maintiennent la solvabilité nationale et la stabilité financière, et créent une fiscalité stable et équitable pour toutes les générations. En s’appuyant sur l’expérience du Kenya, cet article montre comment la mise en place d’un plan d’assainissement budgétaire comprenant des politiques qui visent à réduire les dépenses publiques et à augmenter les recettes publiques est essentielle pour maintenir la viabilité budgétaire. Une fois le pays sur une trajectoire durable, il dispose d’une marge de manœuvre budgétaire lui permettant à la fois de financer de nouveaux projets et de se préparer aux chocs économiques futurs.

Des finances publiques saines, reflétées par des soldes budgétaires prudents et une position supportable de la dette, sont une condition préalable au développement économique durable des pays en développement. Elles contribuent à la crédibilité des politiques publiques et à la stabilité macroéconomique et financière. Ainsi, pour gérer les pressions futures sur les finances publiques, il est essentiel de maintenir une politique budgétaire prudente, c’est-à-dire l’ensemble des actions gouvernementales qui impliquent des changements dans le modèle, la structure et le niveau des dépenses publiques, de la fiscalité et des emprunts pour atteindre des objectifs donnés.

La viabilité de la politique budgétaire est définie par deux indicateurs. Premièrement, le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut (PIB) ; deuxièmement, la contrainte de la valeur actuelle, qui exige que le rapport entre la dette et le PIB reste constant pour que la politique budgétaire soit viable. Un critère supplémentaire stipule qu’une politique budgétaire viable doit faire en sorte que la valeur actualisée de la dette soit nulle pour que la contrainte d’emprunt en valeur actuelle tienne.

Malgré les diverses définitions de la viabilité budgétaire, le consensus est large : la viabilité budgétaire implique des politiques de finances publiques qui favorisent la croissance économique, maintiennent la solvabilité et créent une fiscalité stable et équitable pour toutes les générations. À ce titre, les gouvernements doivent s’efforcer de mettre en place une politique fiscale durable, car l’inverse a des conséquences négatives sur la croissance et la stabilité financière. Une politique non durable affecte les performances macroéconomiques, retarde le bon fonctionnement du secteur privé et génère une instabilité économique, ce qui peut entraîner un changement de politique. En outre, elle présente un risque d’augmentation des taux d’intérêt futurs en raison de la faible confiance des investisseurs privés dans la dette publique, ce qui peut entraîner un ralentissement de la croissance.

La politique budgétaire doit être mise en œuvre de manière durable pour tirer parti des possibilités qu’elle offre de promouvoir la croissance, l’emploi, l’équité et un solde extérieur favorable, et pour minimiser l’exposition aux dangers qui lui sont associés. La viabilité et la sécurité budgétaires sont essentielles à la croissance à moyen et long terme de toute économie, ce qui explique l’attention considérable que leur accordent les décideurs politiques.

Au niveau mondial, un indice budgétaire est utilisé pour évaluer la viabilité à court et moyen terme de la politique budgétaire et son impact sur la croissance. Cet indice, calculé par la Banque mondiale, varie entre un et six, où « un » correspond à un faible niveau de viabilité et « six » à un haut niveau de viabilité.

En 2018, la note de la politique budgétaire du Kenya était de 3,5, similaire à celle de la Tanzanie mais inférieure à celle de l’Ouganda et du Rwanda parmi les pays de la Communauté d’Afrique de l’Est. Sur la base de cette note, la viabilité de la politique budgétaire du Kenya est modérée bien que supérieure à la moyenne de 3,0 pour l’Afrique subsaharienne.

À l’échelle mondiale, Aruba a obtenu la meilleure note en 2018 avec une valeur de 5. Cette performance exemplaire a été obtenue à la suite de la mise en œuvre des recommandations décrites dans la Feuille de route pour la viabilité des finances publiques à Aruba. Celles-ci ont été classées en trois grandes approches : des actions visant à augmenter les recettes publiques ; des mesures de réduction des dépenses ; et une voie complémentaire impliquant des changements ciblant la décentralisation des fonctions gouvernementales, les règles fiscales et la gestion de la dette publique.

Une évaluation récente de la viabilité de la politique budgétaire au Kenya se concentre sur la composition des dépenses et des recettes du pays, ainsi que sur l’analyse de la tendance de son déficit budgétaire. Elle cherche également à établir si la politique budgétaire est actuellement viable.

L’analyse des dépenses publiques du pays indique que l’écart entre les dépenses de développement et les dépenses récurrentes au Kenya continue de se creuser. Les secondes ont été plus de deux fois supérieures aux dépenses de développement au cours des dernières années. La part des dépenses récurrentes a atteint en moyenne 75,1 % entre 2008/09 et 2019/20, tandis que la part des dépenses de développement a atteint en moyenne 24,9 % sur la même période.

Par conséquent, il est nécessaire de revoir l’allocation des dépenses pour atteindre le seuil de 30 % spécifié dans la loi sur la gestion des finances publiques (GFP) de 2012. La composition des dépenses de développement a montré que les projets de développement représentaient la plus grande part (67 %) des dépenses de développement, suivis par les crédits d’aide avec une part de 31 %. Les autres dépenses de développement ont représenté 2 % entre 2008/9 et 2019/20.

La composition des dépenses récurrentes indique que les opérations et la maintenance, ainsi que les traitements et salaires, ont représenté les parts les plus importantes au cours de la même période.

Les recettes publiques totales sont en grande partie déterminées par les recettes fiscales, et la stabilité de leur contribution est donc essentielle pour ancrer les décisions en matière de dépenses. Entre 2008/09 et 2019/20, la part des recettes fiscales a représenté en moyenne 89,8 % des recettes publiques totales, tandis que les recettes non fiscales et les subventions ont représenté en moyenne 7,6 % et 2,6 %, respectivement.

Cela implique que la performance des recettes fiscales est essentielle au financement des dépenses publiques et a donc une forte corrélation avec le développement économique. La ventilation des recettes fiscales au Kenya en différents postes d’imposition indique que l’impôt sur le revenu représente la plus grande part des recettes fiscales totales, suivi par la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Ces résultats indiquent que la politique fiscale est faiblement durable, bien qu’elle s’ajuste rapidement en cas de perturbation causée par des chocs sur l’économie. Les données de l’étude montrent que la politique fiscale du Kenya était viable au cours de la période analysée. Mais le pays est confronté au défi de voir ses dépenses publiques augmenter à un rythme plus élevé que ses recettes publiques.

Ces résultats sont comparables aux conclusions des études « Regime changes and fiscal sustainability in Kenya » (Changements de régime et viabilité budgétaire au Kenya) et « Assessing fiscal policy cyclicality and sustainability for Kenya » (Évaluation de la cyclicité et de la viabilité de la politique budgétaire au Kenya), qui ont établi que la politique fiscale était viable, bien que les dépenses électorales menacent la viabilité fiscale à long terme du Kenya.

Il est impératif que le gouvernement – par l’intermédiaire du Trésor national, du Département d’État de la planification et de l’Autorité fiscale du Kenya – adopte un plan d’assainissement budgétaire qui mette l’accent sur la réduction des dépenses et l’élargissement de l’assiette fiscale. Il est également nécessaire de revoir les dépenses récurrentes, étant donné qu’elles représentent près des trois quarts des dépenses publiques totales.

Pour y parvenir, le Trésor national et le Département d’État de la planification pourraient s’attacher à réduire les dépenses liées aux traitements et aux salaires, qui représentent la plus grande part des dépenses récurrentes. En cherchant à augmenter les recettes fiscales et à élargir l’assiette fiscale, le gouvernement pourrait envisager des politiques et des mesures administratives axées sur la rationalisation, l’attribution et le contrôle des exonérations de l’impôt sur les sociétés afin de préserver l’assiette de l’impôt sur les sociétés et de s’assurer que les exonérations atteignent l’objectif visé.

Globalement, le Kenya est actuellement sur une trajectoire budgétaire faiblement soutenable. Une viabilité faible implique que les recettes publiques ne financent pas entièrement les dépenses publiques, ce qui suscite des inquiétudes quant à la dette publique. Il est donc essentiel d’élaborer un plan de réduction du déficit budgétaire qui garantira que les finances publiques restent sur une trajectoire viable à long terme.

Ce plan peut englober des politiques visant à réduire les dépenses publiques ou à augmenter les recettes publiques. C’est essentiel, car une fois le pays sur une trajectoire durable, il crée un espace budgétaire qui lui permet à la fois de financer de nouveaux projets et de se préparer aux chocs économiques futurs.

En outre, il est important d’assurer une coordination efficace entre le gouvernement national et les gouvernements des comtés, et entre les différents ministères, départements, agences et parties prenantes, afin de garantir la cohérence de la réduction du déficit fiscal.

 

Hellen Chemnyongoi
Policy analyst, KIPPRA