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Think tanks partisans : conseils factuels ou soutien politique ?

7 min

by

Leandro Echt

Cet article a été publié en partenariat avec INGSA dans le cadre du concours « INGSA-LAC 2020/21 Science Advice Essay Competition. »

En Argentine, la Fundación Pensar fonctionne comme une « centrale d’idées » du parti politique de centre-droit Propuesta Republicana (PRO) en concevant des plans de politique publique. Cet article explique la contribution de ce think tank partisan à l’agenda de ce parti, en particulier la valeur ajoutée qu’il a apportée aux ambitions électorales du PRO. Cette expérience donne un aperçu de la relation complexe entre la recherche et la politique, car les connaissances des experts y côtoient l’idéologie, les objectifs et les actions politiques.

L’étude des relations entre les think tanks partisans et les partis politiques est essentielle pour comprendre les liens entre les sphères de la connaissance et de la politique. En 2010, le parti argentin Propuesta Republicana (PRO) a relancé la Fundación Pensar, dont la fonction était de concevoir des plans susceptibles d’être mis en œuvre au sein du gouvernement si le parti remportait la victoire aux élections présidentielles de 2011. Petit à petit, Pensar s’est inséré dans la structure de PRO et est devenu un élément clé de la stratégie nationale du parti.

Connaissance, politique et think tanks partisans

On peut considérer que les connaissances des experts remplissent trois fonctions au niveau politique

·       Une fonction instrumentale : les décideurs peuvent se tourner vers les experts individuels et les organisations pour analyser les problèmes de politique publique et établir des critères et des procédures en vue de les résoudre.

·       Une fonction symbolique : les connaissances spécialisées légitiment les discours et les actions, dans la mesure où leur autorité est revendiquée indépendamment des projets politiques.

·       Une fonction de mise en réseau : elles agissent en tant que vecteurs de savoirs pour les réseaux qui influencent les politiques publiques.

Les think tanks sont l’un des espaces où peuvent se développer les savoirs spécialisés. Deux fonctions constituent leur caractère distinctif : la production et la diffusion d’informations et d’idées concernant les politiques publiques, et l’utilisation de ces résultats pour influencer les décisions et les débats publics.

La diversité des pratiques nationales et régionales montre que ces fonctions peuvent être exercées indépendamment de l’affinité ou de l’adhésion des think tanks à différents acteurs des communautés politiques.

L’expérience de Pensar en tant que think tank affilié au PRO et sa capacité à éclairer la prise de décision à l’aide de données probantes peuvent être analysées sur quatre plans généraux : le système de partis, les fonctions du think tank, son autonomie stratégique et sa pérennité.

 Origine dans un système de partis fragmenté, consolidation dans un contexte de polarisation

Face à la fragmentation du système de partis et à la multiplication des candidats aux élections argentines de 2003, un groupe de personnes issues de milieux politiques et intellectuels a constaté que les idées liées au marché, à un gouvernement limité et au secteur privé comme moteur de la croissance n’étaient pas représentées. En 2005, ce groupe est devenu la Fondation Pensar.

La consolidation de Pensar en tant qu’organisation partisane a eu lieu alors que PRO se développait en tant que force d’opposition nationale dans un contexte de forte polarisation politique. Mais la distance idéologique et de programme entre les principales forces politiques a compromis l’inclusion des preuves comme critères d’élaboration des politiques publiques : la distribution des forces au Congrès (avec PRO comme force d’opposition législative) a conditionné la capacité de Pensar à influencer le débat parlementaire, faisant ainsi de l’élaboration des plans gouvernementaux une priorité.

Leçon 1

Les origines de Pensar suggèrent que la création d’un think tank interne – même s’il est lié au système de partis, à la dynamique de la compétition politique et aux caractéristiques du régime de connaissances politiques – dépend des caractéristiques du parti associé et de la valeur qu’il accorde aux connaissances spécialisées par rapport à ses objectifs politiques.

Fonctions : soutien, réseau, légitimation et gestion des connaissances

Les plans de Pensar permettraient de garantir la fiabilité des actions de PRO au cas où le parti entrerait en fonction en tant que nouveau gouvernement. Le travail conjoint des chefs de parti, du personnel de l’administration et des équipes techniques de la Fondation autour des plans a permis à Pensar de connaître les délais et les points majeurs en matière de conseils et de comprendre les programmes et les priorités du parti, adaptant ainsi ses conseils aux besoins réels.

La Fondation a également soutenu la construction et l’expansion politico-territoriale de PRO en tant que force nationale, en favorisant la formation d’un réseau national de dirigeants et en permettant au parti de s’appuyer sur des compétences techniques qui ont légitimé ses propositions. Sur le plan symbolique également, Pensar a mis en évidence l’importance de la preuve en tant que facteur de décision, par opposition à l’intuition dans la « vieille politique ».

Mais dans quelle mesure la Fondation Pensar a-t-elle produit des connaissances appliquées aux politiques publiques, un aspect distinctif des think tanks ? Bien qu’elle occupe une place importante dans sa communication, la production systématique de connaissances par la recherche est l’une des fonctions les moins développées des think tanks partisans. Au lieu de cela, ces groupes fonctionnent généralement comme des courtiers.

Ainsi, Pensar a plutôt agi comme un gestionnaire de connaissances : la fondation a généré des preuves en commandant des études à des tiers, en a discuté avec les parties prenantes et s’est nourrie de ce travail pour élaborer des plans gouvernementaux et générer du contenu discursif.

Leçon 2

L’expérience de Pensar montre que les connaissances techniques rassemblées dans un think tank partisan remplissent les trois fonctions de la politique :

·       Elles génèrent des résultats à appliquer en pratique (la fonction instrumentale), comme les plans de gouvernement élaborés par Pensar.

·       Elles légitiment le discours et l’action du parti (fonction symbolique), en renforçant son profil et ses références technocratiques.

·       Elles permettent d’élargir les liens politico-institutionnels du parti (fonction de réseau).

 Équilibre entre autonomie et discipline de parti

Parmi les facteurs qui expliquent la réussite de l’intégration de Pensar à PRO, ainsi que la reconnaissance externe (par les médias et d’autres parties prenantes), certains ressortent :

·       La légitimité résultant du soutien explicite et de la proximité directe avec le chef du parti ;

·       La division claire établie entre le parti en tant qu’espace politique et la Fondation en tant qu’espace technique, lui conférant une fonction spécifique ;

·       Une lecture stratégique de la politique et sa politisation croissante, qui a permis à Pensar de contribuer à la réalisation des objectifs électoraux ;

·       Le développement d’une « discipline de parti » rigoureuse, recourant au profil public de Pensar en fonction des besoins politiques du parti ;

·       La conformité à la politique impliquant l’absence d’un agenda propre à Pensar : son agenda était réactif, à la demande du parti, et dans la poursuite des débats sur l’agenda national.

De cette manière, pour être accepté en tant que think tank de PRO, Pensar a géré l’équilibre entre deux attributs : celui d’être un acteur (autonome) et un agent (ressource organisationnelle). L’expérience de Pensar suggère que dans les think tanks partisans, la gestion de cet équilibre répond aux objectifs et aux conjonctures politiques et est donc en perpétuel changement.

Leçon 3

L’évolution de Pensar indique que l’intégration du think tank dans la structure du parti nécessite un processus d’adaptation mutuelle, et que le think tank doit trouver un équilibre entre être un acteur autonome et un agent (une ressource organisationnelle pour le parti), mais aussi être conscient que les objectifs politiques prévalent sur les objectifs techniques.

Les élections et l’incertitude constitutive du think tank partisan

À l’approche de l’échéance électorale, alors que le soutien à PRO progressait dans les sondages, la discussion sur les politiques publiques et le travail autour des plans gouvernementaux ont été relégués au profit de la construction des candidatures et de l’activisme territorial. En 2015, PRO a remporté une course présidentielle serrée (51 % contre 49 %), conservé la ville de Buenos Aires (la capitale de l’Argentine), créé la surprise dans la province de Buenos Aires (le plus grand district du pays) et remporté de nombreuses victoires au niveau municipal.

PRO a dû relever le défi de gérer une croissance soudaine de ses activités. Pensar est devenu l’une des principales institutions de ressources humaines, avec des membres à tous les niveaux de la structure gouvernementale nationale et infranationale. Bien que l’institution soit restée sans leader et sans membres actifs, les connaissances spécialisées ont fini par occuper une place centrale dans la nouvelle administration.

Leçon 4

L’expérience de Pensar confirme l’incertitude constitutive qui sous-tend tout think tank partisan, car son évolution (et celle de ses membres) dépend largement des performances du parti aux élections.

 

Leandro Echt
Political Scientist