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Faire plus avec les mêmes moyens : soutenir les pauvres à l’ère des restrictions budgétaires

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Gabriel Lara Ibarra and Otavio Canozzi Conceição

La pandémie de COVID-19 a épuisé les finances publiques des pays du monde entier et laissé les gouvernements dans une situation difficile pour poursuivre la lutte contre la pauvreté. Mais des recherches suggèrent que lesdits gouvernements pourraient mieux soutenir les plus pauvres en restructurant les systèmes d’impôts et de dépenses existants – sans que cette démarche n’exerce une pression supplémentaire sur des caisses publiques déjà appauvries.

De nombreux gouvernements ont pris des mesures d’urgence radicales pour protéger leurs économies et leurs citoyens contre les effets profonds et multidimensionnels de la pandémie de COVID-19. Parmi les mesures fiscales, on trouve des transferts d’argent coûteux, des incitations financières et des garanties de prêt.

Dans l’ensemble, les programmes d’urgence ont coûté plus de 3 000 milliards de dollars en 2020-2021. Les dépenses publiques consacrées à ces mesures fiscales varient entre 1,1 % du PIB au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et 7,4 % en Amérique du Nord.

Deux ans après le début de la reprise économique, les pays disposent désormais d’une plus grande marge de manœuvre pour réévaluer leurs finances. Mais ce faisant, il est essentiel qu’ils adoptent des politiques qui amélioreront les revenus des pauvres et des personnes vulnérables.

En effet, selon le dernier Macro Poverty Outlook (Rapport sur la pauvreté macroéconomique) de la Banque mondiale, le taux de pauvreté (la proportion de personnes gagnant moins de 6,85 USD par jour) était plus élevé en 2022 qu’en 2019 dans 46 pays, dont 10 à faible revenu. En Asie du Sud, par exemple, le taux de pauvreté moyen par pays a augmenté de 4,5 points de pourcentage. Les projections pour l’Afrique subsaharienne suggèrent que la pauvreté a augmenté de 0,6 point. Dans l’ensemble, parmi les pays analysés, il y avait 4,5 millions de pauvres de plus en 2022 qu’avant la pandémie.

Malheureusement, en cette période où les besoins de solidarité sont particulièrement importants, les gouvernements sont soumis à des contraintes budgétaires plus sévères qu’avant la pandémie. Les dettes publiques en pourcentage du PIB devraient être plus élevées en 2022 qu’au cours des trois années précédant la pandémie et devraient suivre la tendance observée au cours de la période 2019-2021, où elles sont passées de 84,1 à 95,7 %.

Comment les pays peuvent-ils continuer à soutenir les pauvres et à lutter contre les inégalités si les fonds ne sont plus ce qu’ils étaient ? L’analyse de l’incidence des politiques fiscales (IPF) peut aider à répondre à cette question.

Qu’est-ce que l’incidence des politiques fiscales (IPF) ?

L’IPF est une méthode qui permet d’obtenir une vue d’ensemble de l’impact des politiques qui affectent le revenu des familles, telles que les impôts et les transferts. Elle analyse les effets de chaque politique et, surtout, montre si celle-ci contribue à améliorer ou à aggraver les indicateurs de pauvreté et d’inégalité de la société.

Pour ce faire, elle compare la concentration de la pression exercée par une politique sur les différentes catégories de revenus. D’une manière générale, si les plus riches paient une part plus importante du montant total des impôts que les plus pauvres, on dit que l’impôt est progressif. Si, au contraire, les plus pauvres paient une part relativement plus importante, l’impôt peut être considéré comme régressif, car il conduit à une plus grande inégalité.

Cette classification des impôts et des transferts permet de comparer les politiques en fonction de leur capacité à réduire les écarts de revenus. Il est même possible de déterminer quels groupes sont favorisés par le système fiscal et quels groupes sont défavorisés.

Le cas du Brésil : un mélange de politiques régressives et progressives

En 2020, le Brésil a accusé une chute historique de son PIB de 3,3 %. La même année, son plan d’urgence COVID-19 a coûté l’équivalent de 3,8 % du PIB. Et en 2022, son ratio dette publique/PIB était de 72,9 %. Cela fait de ce pays un cas intéressant à examiner.

Les politiques budgétaires sont omniprésentes dans la vie des Brésiliens. Le bien-être des ménages est étroitement lié à l’impôt sur le revenu personnel, aux retraites, aux transferts d’argent par le biais duprogramme mondialement connu Bolsa Família, aux impôts indirects et aux dépenses publiques consacrées aux systèmes de santé et d’éducation.

Plus de 23 % de la population brésilienne gagne moins de 6,85 USD par jour (soit le seuil de la Banque mondiale pour les économies à revenu moyen supérieur), et le pays présente l’un des niveaux d’inégalité des revenus les plus élevés au monde (comme le montre l’indice GINI). Le Brésil a donc beaucoup à gagner à réorganiser la manière dont il perçoit les revenus et cible ses dépenses.

Une récente analyse de l’incidence fiscale montre que, dans l’ensemble, le système fiscal brésilien était parvenu à réduire la pauvreté et les inégalités en 2019. Mais les politiques individuelles ont eu des effets très différents.

Les impôts indirects ont été à l’origine de la plus forte augmentation de la pauvreté enregistrée. Ces taxes sont prélevées sur la consommation de biens et de services, comme la TVA, et sont généralement neutres ou régressives par rapport au revenu. En revanche, les transferts directs, tels que la Bolsa Familia, ont eu le plus grand impact sur la réduction de la pauvreté et ont plus que compensé les effets négatifs des impôts indirects.

Par ailleurs, des politiques telles que l’Abono Salarial, une prime salariale pour les bas salaires, et le Salário Família, une allocation salariale pour les familles avec enfants, sont beaucoup moins progressives que les interventions sous condition de ressources telles que la Bolsa Familia et la BPC, un transfert pour les personnes âgées et handicapées à faible revenu.

Il faut toutefois noter que les taux de pauvreté augmentent chez les enfants et les jeunes adolescents (de 0 à 15 ans) une fois prises en compte toutes les politiques fiscales.

Améliorer l’efficacité des systèmes fiscaux – sans dépenser plus

Il est certainement possible de réduire les inégalités au Brésil par le biais du système fiscal. Et cela ne signifie pas nécessairement que le gouvernement aura besoin d’un budget plus important.

De vastes réformes peuvent renforcer l’efficacité du système fiscal, de sorte qu’il agisse davantage en faveur de l’égalité, et ce sans modification du budget global. Une approche possible consiste à regrouper les multiples transferts en espèces, tels que l’Abono Salarial et le Salário Família, en un programme unique et plus ciblé. D’autres études ont également suggéré que l’adoption d’un taux de TVA unique pourrait, par exemple, augmenter le pouvoir d’achat des ménages brésiliens. Les effets attendus d’une telle réforme structurelle sont donc positifs pour les consommateurs et les bénéfices seraient plus marqués pour les plus pauvres que pour les plus riches.

Grâce à l’expansion des programmes sociaux et à la reprise économique, le taux de pauvreté du Brésil en 2022 est déjà inférieur à son niveau d’avant la pandémie (une réduction de 2,7 points de pourcentage). Bien qu’on puisse se réjouir de ces progrès, il reste encore beaucoup à faire. Au Brésil, 50,1 millions de personnes sont encore considérées comme pauvres.

La refonte de Bolsa Família en 2023 est un pas dans la bonne direction. Elle comprend une aide supplémentaire par enfant. L’approbation récente par le Congrès brésilien d’une réforme des taxes à la consommation visant à simplifier le système sans réduire les recettes fiscales est également une étape importante vers un système fiscal plus équitable.

Plus important encore, il s’agit de mesures qui peuvent apporter d’énormes avantages à ceux qui en ont le plus besoin. Les décideurs politiques devraient donc continuer à étudier les leviers fiscaux et à trouver des politiques complémentaires qui amélioreront encore l’efficacité du système fiscal.

Gabriel Lara Ibarra
Économiste Senior, Banque Mondiale
Otavio Canozzi Conceição
Consultant ET, Banque mondiale