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Innovation sociale : des organisations hybrides pour lutter contre la pauvreté

9 min

by

Sourindra Banerjee and Jarrod Vassallo

La conception de nouveaux services et produits pour lutter contre la pauvreté peut être réalisée par différents types d’organisations. Dans cet article, nous observons en quoi les « organisations hybrides », c’est-à-dire qui se situent entre les organisations à but lucratif et celles à but non lucratif, rencontrent des degrés de réussite variables dans l’offre d’une innovation sociale en fonction du contexte dans lequel elles interviennent. Les organisations hybrides à but non lucratif tendent à être plus performantes dans les marchés où les niveaux de développement sont plus faibles, tandis que les organisations hybrides à but lucratif tendent à être plus performantes dans des marchés où la diversité sociale est faible. Afin que ces organisations puissent réduire la pauvreté, les dirigeants de ces sociétés doivent opter pour la forme hybride la plus adaptée aux caractéristiques de leurs zones d’activité.

L’innovation sociale, à savoir la conception de nouveaux services et produits dans le but de résoudre des problématiques sociales, constitue un moyen important de réalisation des Objectifs de développement durable des Nations Unies, qui visent à « éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde » d’ici 2030. L’innovation sociale intervient dans les secteurs publics, privés et à but non lucratif, mais également de plus en plus dans des organisations non traditionnelles situées quelque part entre tous ces secteurs. De fait, certains affirment que les organisations hybrides sont les principaux moteurs de l’innovation sociale.

Les formes hybrides

Les organisations hybrides n’ont pas toute la même structure organisationnelle ni la même façon de fonctionner. Au lieu de cela, elles prennent différentes formes situées entre les organisations traditionnelles à but lucratif et à but non lucratif. Elles sont particulièrement présentes dans les marchés dits du bas de la pyramide.

Les personnes appartenant à ces marchés sont exclues du système financier traditionnel. En effet, elles n’ont pas accès aux services et produits financiers traditionnels bon marché et équitables. L’inclusion financière reste un problème important dans le monde entier. En effet, environ 2,5 milliards d’adultes dans le monde n’ont pas de compte bancaire.

La microfinance

La microfinance est un bon exemple d’innovation sociale fructueuse. Il s’agit d’une forme hybride qui peut aider les personnes pauvres à avoir accès à des produits ou services financiers par l’intermédiaire de groupes de crédits lorsqu’elles n’auraient pas eu accès à un crédit bancaire traditionnel.

Notre étude se concentre sur des fédérations de groupes d’entraide de microfinance en Inde. En Inde, une personne sur cinq vit en dessous du seuil international de pauvreté. Par conséquent, le besoin de nouvelles formes d’accès à des produits et services financiers est vital.

Ces groupes d’entraide sont souvent assimilés à des cercles d’emprunt ou des groupes d’épargne communautaires. En Inde, les groupes d’entraide désignent souvent un groupe de 12 à 20 personnes issues de la même classe sociale (généralement des femmes pauvres) qui se retrouvent de façon régulière pour contribuer à un fonds commun d’épargne et améliorer leur compréhension du fonctionnement de la finance.

Après avoir démontré un comportement raisonnable quant à la gestion de leurs finances pendant plusieurs mois, les membres des groupes d’entraide peuvent accéder à un crédit bancaire sans devoir fournir de garantie formelle et à des taux considérés comme plus avantageux qu’ailleurs.

Les groupes d’entraide sont perçus comme étant une innovation sociale majeure, dans la mesure où ils offrent une solution novatrice concernant leur modèle économique (emprunt de groupe) et offre de produits (prêts sans garanties pour les personnes pauvres et exclues du système financier traditionnel). De plus, ils sont plus efficaces, efficients et durables que d’autres solutions traditionnelles, à l’instar du service bancaire individuel.

Les avantages des organisations hybrides mixtes

Notre analyse indique que les formes hybrides proches du centre du spectre (voir figure ci-dessus) des organisations hybrides (que l’on appellera « mixtes ») ont globalement davantage de probabilité d’atteindre plus de personnes et d’avoir un meilleur impact dans les marchés du bas de la pyramide.

Par rapport aux organisations hybrides plus proches des formes d’organisations traditionnelles à but lucratif : 

·       les organisations hybrides mixtes possèdent des seuils d’autonomie financière moins élevés. Au lieu de rechercher le profit économique, la stabilité financière est suffisante. Elles sont ainsi davantage tournées vers la recherche de l’innovation sociale dans les marchés du bas de la pyramide ; 

·       elles poursuivent davantage des objectifs sociaux et sont par conséquent moins enclines à distribuer des excédents de revenus aux investisseurs ou à réaffecter leurs ressources à des domaines plus rentables. Elles tendent plus à réinvestir leurs profits dans l’élargissement de la portée de leurs activités. 

Par rapport aux organisations hybrides plus proches des formes d’organisations traditionnelles à but non lucratif : 

·       les organisations hybrides mixtes cherchent davantage à résoudre les problématiques sociales à condition qu’une solution de marché pérenne sur le plan financier existe. Tandis que cela réduit leur impact social relatif, cela permet d’assurer que des solutions pérennes sur le plan financier et pouvant être reproduites à plus grande échelle sont recherchées ; 

·       elles peuvent répondre à leurs besoins de dépenses en capital en faisant directement appel à des investisseurs, plutôt que de reposer sur les dons. Cette flexibilité supplémentaire peut jouer le rôle de réserve financière et contribuer à diffuser davantage leur innovation sociale. 

Contrairement aux organisations hybrides situées aux deux extrêmes du spectre, les organisations hybrides mixtes sont adaptées pour équilibrer autonomie financière et exigences en matière d’impact social. Cela leur offre de sérieux avantages relatifs lorsqu’elles rencontreront les problématiques communes à toutes les organisations engagées dans l’innovation sociale.

Des niveaux de développement variables

Bien que les organisations hybrides mixtes sont plus répandues et obtiennent globalement de meilleurs résultats, elles ne conviennent pas à toutes les situations de marché. L’un de principaux exemples concerne les niveaux de développement, et en particulier la disponibilité inégale de ressources matérielles.

Les organisations hybrides à but lucratif tendent à privilégier des marchés plus développés où les besoins sociaux sont davantage satisfaits. Les documents financiers justifiant le choix de privilégier des marchés plus développés reposent sur des raisons purement commerciales.

A l’inverse, la logique de maximisation du bien-être prend le pas sur les préoccupations commerciales chez les organisations hybrides à but non lucratif. Etant donné que la logique sociale suppose d’allouer des ressources à ceux qui sont le plus dans le besoin, ces organisations se concentrent sur les marchés moins développés dans lesquels les alternatives se font rares.

En comparaison avec les organisations hybrides mixtes et à but lucratif, les organisations hybrides à but non lucratif sont plus présentes et ont davantage d’impact dans les marchés régionaux du bas de la pyramide les moins développés.

La diversité sociale

Certains travaux de recherche montrent que la diversité sociale est liée de façon négative au capital social, et particulièrement à la confiance. Dans ces marchés, l’innovation sociale repose davantage sur la confiance que pour les solutions traditionnelles. À titre d’exemple, la microfinance est généralement administrée sous la forme de groupes de crédit (à l’instar des groupes d’entraide), contrairement aux prêts bancaires traditionnels.

Ainsi, l’impact d’une innovation sociale dépend de la façon dont elle se diffusera au sein d’une population cible. Cette diffusion tend à être plus rapide au sein des groupes sociaux qu’entre eux, notamment du fait de la plus grande confiance qui règne au sein d’un groupe social.

Etant donné que les communautés possédant davantage de diversité sociale souffrent d’un manque relatif de confiance, les organisations qui y interviennent rencontreront davantage de risques concernant leur rentabilité financière et plus d’obstacles en vue de la diffusion de leur innovation sociale, ce qui est synonyme d’une baisse de rentabilité.

En comparaison avec les organisations hybrides mixtes et à but non lucratif, les organisations hybrides à but lucratif sont plus présentes et ont davantage d’impact dans les marchés du bas de la pyramide où la diversité sociale est faible.

Conséquences pour les dirigeants d’entreprise et les responsables politiques

Durant la planification de la stratégie d’entrée sur un marché du bas de la pyramide, la faculté de la direction de la société à choisir une forme hybride adaptée aux caractéristiques du marché (par exemple, le niveau de développement et la diversité sociale) sera déterminante pour les résultats de l’innovation sociale.

Les dirigeants doivent choisir une forme d’organisation hybride (plus proche de la maximisation du profit, ou du bien-être) en fonction des différents niveaux de développement dans les régions où leurs sociétés sont présentes. En effet, les dirigeants d’organisations hybrides privilégiant la maximisation du profit devraient être plus performants dans les régions les plus développées. A l’inverse, les dirigeants des organisations hybrides privilégiant la maximisation du bien-être devraient être plus performants dans les régions les moins développées.

Dans les marchés du bas de la pyramide similaires au contexte indien, les dirigeants d’entreprises et les responsables politiques doivent favoriser les organisations hybrides mixtes comme vecteur de l’innovation sociale centrée sur l’inclusion financière.

Les conclusions de nos recherches peuvent aider les législateurs à améliorer la règlementation du secteur des organisations hybrides afin d’encourager la diffusion de l’innovation sociale. Cette règlementation devrait diviser le secteur des organisations hybrides en trois catégories : une première pour les organisations plus proches de la maximisation du bien-être ; une deuxième pour les organisations situées à mi-chemin entre maximisation du profit et maximisation du bien-être ; et une troisième pour les organisations traditionnelles à but lucratif, plus proches de la maximisation du profit.

Nos constatations sont particulièrement pertinentes pour les marchés du bas de la pyramide dans les pays à faible revenu, où le niveau de développement et l’inclusion financière sont globalement faibles. Des observations faisant le lien entre niveaux de développement et inclusion financière en Inde peuvent facilement être réutilisées dans d’autres pays à faible revenu du monde entier.

Auteurs:

 

Dr Sourindra Banerjee est maître de conférences en marketing au sein de la faculté de commerce de l’Université de Leeds. Ses travaux traitent des questions importantes sur le plan de la gestion d’entreprise en appliquant des modèles économétriques innovants à de vastes ensembles de données empiriques. 

Dr Jarrod Vassallo est maître de conférences en entrepreneuriat social au sein de la faculté de commerce de l’Université de Sydney. Dans ses travaux actuels, le Dr Vassallo s’intéresse au rôle des entreprises sociales et des autres organisations hybrides dans la réalisation des 17 Objectifs de développement durable de l’ONU. 

Sourindra Banerjee
Lecturer of Marketing at Leeds University Business School
Jarrod Vassallo
Lecturer of Social Entrepreneurship, University of Sydney