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Investir dans la croissance : le rôle clé de la capacité d’absorption des pays

7 min

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Daniel Gurara, Roland Kangni Kpodar, Andrea F. Presbitero and Dawit Tessema

Comment les gouvernements peuvent-ils tirer profit des investissements publics dans les infrastructures pour promouvoir la croissance sans risquer d’énormes dépassements de coûts et sans se concentrer sur des projets de prestige sans grande valeur sociale ? Cet article démontre que les coûts unitaires des projets d’infrastructure augmentent lorsque les niveaux d’investissement public sont trop élevés, tout particulièrement pendant les périodes d’expansion des investissements et lorsque l’efficacité des investissements est faible. Ces résultats plaident en faveur d’une augmentation progressive de l’investissement public en fonction de la capacité d’absorption du pays. Le renforcement des institutions qui gèrent l’investissement public est essentiel pour tirer le meilleur parti de chaque dollar supplémentaire dépensé dans les infrastructures.

L’investissement public est essentiel pour construire et entretenir les infrastructures matérielles, pour accroître la productivité et pour promouvoir la croissance économique à long terme. Et les arguments en sa faveur sont d’autant plus pertinents aujourd’hui, après la pandémie mondiale. Selon les estimations du Fonds monétaire international, chaque augmentation de 1 % du PIB dans l’investissement public pourrait faire croître le PIB de 2,7 %, permettant ainsi de créer des emplois et de soutenir une reprise économique plus rapide après le Covid-19.

Mais l’histoire a montré que les fortes hausses de l’investissement public n’ont pas souvent répondu aux attentes. S’il existe des preuves que le capital public peut effectivement contribuer à la croissance, notamment par les investissements dans les infrastructures, l’analyse des épisodes passés incite à un certain scepticisme quant à l’effet réel de l’augmentation de l’investissement public sur la croissance de la production.

Par exemple, les anecdotes sur les ponts et les routes qui ne mènent nulle part ne manquent pas. Un examen systématique des données relatives aux flambées antérieures en matière d’investissement public révèle qu’elles se sont soldées par des dettes publiques plus élevées et des dividendes de croissance à long terme faibles ou nuls. Conformément à ce résultat et à l’existence de contraintes de capacité d’absorption, les preuves basées sur les données relatives aux projets d’infrastructure montrent que leurs résultats se détériorent en période d’intensification de l’investissement public.

La notion de capacité d’absorption est liée à la capacité technique, au gaspillage et à la perte de ressources dans le processus d’investissement – autant d’éléments qui influent sur la sélection, la gestion et les contraintes de mise en œuvre des projets. La capacité d’absorption intègre l’idée de rendements marginaux décroissants, mais souligne également le rôle que des obstacles à l’offre contraignants peuvent avoir sur les taux de rendement de l’investissement public à court terme, lorsque les compétences, les institutions et la gestion nécessaires pour tirer profit d’un investissement supplémentaire ne peuvent être développées.

Les spécialistes du développement considèrent que les compétences techniques, les capacités administratives et organisationnelles, l’efficacité du gouvernement et l’environnement politique sont les principaux moteurs de la capacité d’absorption.

Alors que ce corpus de recherches – ainsi que des preuves anecdotiques – suggère de faibles effets sur l’économie réelle des flambées d’investissement public, principalement en raison de diverses carences liées aux dépenses d’investissement public, on ne parle pas beaucoup des mécanismes réels qui peuvent affaiblir la réactivité de la production à l’investissement public en période de flambée.

Dans une étude récente, nous soutenons que l’un des mécanismes potentiels à l’origine des rendements économiques limités des grands épisodes d’investissement public pourrait être une inflation rapide des coûts – une situation dans laquelle les coûts unitaires des projets augmentent fortement en raison de la hausse des coûts marginaux de la gestion des investissements publics. ​​Plus les programmes d’investissement public se développent, plus le coût marginal de leur gestion augmente, entre autres à cause de la carence en compétences, du resserrement des marchés de la construction et des contraintes d’approvisionnement.

Les faiblesses du cadre institutionnel de gestion des investissements publics se manifestent par des retards de paiement des entrepreneurs, des annulations de contrats, des modifications de conception et des renégociations. Les données relatives à des projets sur plusieurs continents montrent que les dépassements de coûts sont monnaie courante. Des estimations largement reprises indiquent par exemple que 86 % des projets présentent des dépassements, les coûts réels dépassant les coûts estimés de 28 % en moyenne.

La figure 1 donne l’exemple d’une forte accélération des investissements publics au Vietnam, qui a conduit à une expansion rapide du parc d’infrastructures. Les inefficacités résultant de telles flambées de l’investissement public peuvent entraîner des faiblesses critiques. Une étude sur les ​problèmes d’infrastructure au Vietnam​  note que « l’apparente incapacité des investissements lourds à résoudre les problèmes d’infrastructure s’explique par le fait qu’un nombre disproportionné de projets, en particulier dans le secteur des transports, ne sont pas économiquement viables mais sont approuvés sous la pression politique avec des coûts gonflés ».

Figure 1 : Périodes de flambée de l’investissement public au Vietnam

Remarques : Le graphique retrace la forte accélération de l’investissement public au Vietnam. Les données proviennent de l’ensemble de données sur l’investissement et le stock de capital, publié par le Fonds monétaire international (2015, 2019).

En outre, le large éventail de ressources techniques et de gestion nécessaires à la mise en œuvre de plusieurs projets d’investissement, qui ne peuvent souvent pas être déployées rapidement, pourrait entraîner non seulement une inflation des coûts, mais aussi des retards dans la mise en œuvre et l’achèvement des projets. Par exemple, une analyse récente montre que, malgré la fréquence des retards dans les pays (environ 60 % des projets sont retardés d’au moins un an), les délais sont plus importants dans les pays dotés d’institutions plus faibles et en période d’intensification des investissements publics.

Dans notre analyse, nous nous concentrons sur la relation entre investissement public et coûts unitaires de la construction routière, en utilisant des données recueillies sur plus de 3 300 projets de construction routière entrepris dans un large échantillon de pays.  De cette manière, nous pouvons évaluer la relation entre l’ampleur et la rapidité de l’investissement public et les coûts unitaires des travaux routiers.

Nous nous concentrons sur l’infrastructure routière car elle constitue une composante clé des dépenses en infrastructures, et elle est essentielle pour réduire les coûts commerciaux et promouvoir le développement, la transformation structurelle et l’urbanisation. 

Trois principaux résultats ressortent :

Premièrement, il existe une relation en forme de U entre l’investissement public et les coûts unitaires des projets, avec un point d’inflexion proche de 10 % du PIB, ce qui suggère que les coûts marginaux de gouvernance augmentent en même temps que les niveaux d’investissement public. Ce résultat se vérifie après la prise en compte d’un large éventail de caractéristiques des projets, de facteurs géographiques, d’instruments de financement et d’autres éléments susceptibles d’influer sur les coûts des projets.

Deuxièmement, l’inflation des coûts se manifeste à différents niveaux des investissements publics selon leur efficacité dans le pays – un indicateur de la qualité de la gestion des investissements publics. En particulier, pour les pays à faible efficacité, les coûts unitaires commencent à augmenter lorsque l’investissement public est supérieur à 7 % du PIB, tandis que pour les pays à haute efficacité, ce seuil se situe à 10 % du PIB. Ces résultats sont économiquement significatifs, étant donné que sur la période de 2013 à 2015, l’investissement public moyen était supérieur à 7 % du PIB dans 32 % des pays en développement, et supérieur à 10 % du PIB dans 15 % des pays en développement..

Troisièmement, les coûts unitaires augmentent fortement pendant les booms d’investissement. Par exemple, l’augmentation de l’investissement public de 8 à 15 % du PIB est associée à une hausse de 38 % des coûts unitaires dans les pays à faible efficacité, contre seulement 3 % dans les pays à haute efficacité.

Notre analyse met en évidence l’existence d’une échelle minimale efficace pour la gestion des investissements publics. Les combinaisons de portefeuilles d’investissement sont particulièrement inefficaces lorsque les programmes d’investissement sont modestes. Ces derniers sont susceptibles de cibler des portefeuilles dominés par des  « projets de prestige »  présentant une valeur sociale limitée et des coûts unitaires comparativement plus élevés. 

Au fur et à mesure que les programmes et les portefeuilles d’investissement se développent, la composition et la disponibilité des projets sont plus équilibrées, incluant à la fois des projets abordables et durables. Ces changements sont susceptibles de faire baisser les coûts unitaires. Mais à mesure que les budgets d’investissement se développent, le coût marginal de la gouvernance augmente, car la capacité d’évaluation ne croît pas au même rythme que l’ampleur, le nombre et la spécificité des projets.

Les implications politiques de ces résultats plaident en faveur d’une augmentation progressive de l’investissement public en fonction de la capacité d’absorption du pays. Le renforcement des institutions de gestion des investissements publics est essentiel pour tirer le meilleur parti de chaque dollar supplémentaire dépensé dans les infrastructures publiques.

Les priorités de la réforme comprennent la mise en œuvre de critères bien pensés de sélection et de hiérarchisation des projets, la mise en place d’un processus solide d’évaluation des projets, l’amélioration de la crédibilité de la budgétisation pluriannuelle, l’élaboration d’un cadre efficace pour gérer les risques liés aux partenariats public-privé, le renforcement de la gestion des projets et la garantie que les plans nationaux et sectoriels peuvent effectivement guider les décisions d’investissement public.

 

Daniel Gurara
Economist, IMF
Roland Kangni Kpodar
Deputy Division Chief, International Monetary Fund (IMF)
Andrea F. Presbitero
Economist at the IMF Research Department
Dawit Tessema
Economist, IMF