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L’inégalité géographique dans les débats mondiaux sur les politiques de développement

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Verónica Amarante, Nisha Arunatilake, Ronelle Burger, Ana Lucía Kassouf and Lucas Ronconi

Dans de nombreux domaines de la vie publique, on reconnaît de plus en plus l’importance de la participation des personnes ayant une expérience concrète. Comme le note cet article, cela est également vrai dans les études sur le développement. Les autrices et auteur appellent à une plus grande participation et à un plus grand leadership des chercheurs du Sud afin de promouvoir l’élaboration de politiques de développement inclusives, durables et fondées sur des données probantes. 

Il est de plus en plus évident que l’implication des chercheurs locaux dans des études sur le développement économique signifie que les résultats ont un plus grand impact sur les politiques, qu’ils conduisent à des politiques de développement plus durables et qu’ils permettent de soutenir des politiques plus inclusives. Mieux encore, si ce sont les locaux eux-mêmes qui dirigent le travail. Cependant, la plupart des projets de recherche dans les pays à revenu faible ou intermédiaire sont encore menés par des chercheurs du Nord, les chercheurs du Sud contribuant relativement peu aux débats sur la politique de développement.

Une étude révèle que près des trois quarts (73 %) des articles publiés dans les 20 principales revues consacrées au développement entre 1990 et 2019 ont été rédigés par des chercheurs du Nord. Seuls 16 % l’étaient par des chercheurs du Sud, bien que la majorité des articles (61 %) se concentrent spécifiquement sur un pays ou une région du Sud.

Une étude de 2020 montre également que les chercheurs basés en Afrique sont gravement sous-représentés dans les revues axées sur le développement qui se concentrent sur ce continent. En effet, ce problème a été identifié dans des études portant sur des publications remontant à 1997 et même à 1985

De même, seuls 10 % des présentateurs des cinq principales conférences sur le développement de ces dernières années étaient affiliés à des universités de pays en développement. Et moins de 10 % des auteurs des rapports phares de la Banque mondiale et du Programme des Nations unies pour le développement vivent dans un pays en développement.

Pour le bien-être des populations du Sud et les progrès des sciences naturelles et sociales

La stratégie actuelle de la recherche sur le développement dans son ensemble est certes rigoureuse, mais elle n’est peut-être pas adaptée à l’objectif visé, car elle se caractérise par un manque d’analyse contextuelle. Les connaissances et les idées au plan local sont essentielles pour élaborer des solutions politiques viables qui répondent mieux aux besoins locaux. En outre, les chercheurs du pays peuvent mettre à profit leur compréhension des processus politiques nationaux pour communiquer plus efficacement les résultats de la recherche à des publics clés à des moments stratégiques, améliorant ainsi les chances d’assimilation.

La participation des chercheurs du Sud est un moyen d’assurer l’inclusion, une implication plus large et une meilleure contextualisation des questions de développement. Elle permet ainsi de créer un environnement politique et stratégique équitable et durable dans les pays du Sud.

Une plus grande visibilité de la recherche du Sud contribuerait à façonner les agendas universitaires et politiques régionaux et nationaux, à fixer des priorités et à orienter les investissements de manière à mieux refléter le contexte et les besoins locaux. L’implication des chercheurs locaux est cruciale pour renforcer l’appropriation locale du travail, ce qui à son tour est vital pour assurer l’impact politique.

Si l’on croit qu’il existe un lien entre politique économique crédible et recherche spécifique au pays, alors une plus grande participation du Sud se traduirait également par un plus grand développement technologique, une croissance et un emploi accrus et un bien-être social amélioré. Comme l’indique une étude, combien « d’idées importantes ne sont pas découvertes parce que les chercheurs de la périphérie académique n’ont pas de public réceptif » ?

Les universitaires du Sud sont confrontés à de multiples obstacles à la participation

Lorsqu’ils cherchent à participer à des projets de recherche et à publier dans des revues scientifiques, les universitaires du Sud sont confrontés à divers obstacles liés aux ressources, aux compétences et aux réseaux. 

Les nouveaux développements de la recherche et les publications dans les meilleures revues dépendent directement du financement. Mais l’infrastructure et les ressources pour financer la recherche scientifique sont défaillantes dans les pays en développement. Nombreux sont ceux qui luttent pour créer et à maintenir des centres de recherche et des universités afin de constituer un capital humain précieux, vital pour le progrès de la recherche et de la technologie. Malheureusement, de nombreux chercheurs locaux prometteurs visent de meilleures ressources dans des institutions étrangères, ce qui entraîne une « fuite des cerveaux ».

Les relations de réseau au sein des communautés scientifiques sont très importantes pour renforcer les connaissances des chercheurs et le niveau de leurs publications. Or, elles sont très limitées dans les pays moins développés, où les ressources ne peuvent souvent pas couvrir la participation à des conférences régionales et internationales. En outre, les personnes dont l’anglais n’est pas la langue maternelle sont beaucoup plus susceptibles de voir leurs soumissions à des revues rejetées parce qu’elles ne respectent pas un style « approprié »

L’absence de diversité géographique dans le monde universitaire n’est pas seulement un problème parmi les auteurs, mais aussi au sein des équipes éditoriales. Cela est particulièrement vrai pour les revues économiques les plus prestigieuses, où l’Amérique du Nord et l’Europe détiennent 93 % du pouvoir éditorial. La diversité géographique limitée peut également constituer un obstacle à l’élargissement des perspectives des chercheurs en raison de l’importance des réseaux et des liens sociaux pour la publication.

L’ensemble de ce manque de visibilité des scientifiques du Sud réduit leur efficacité dans la mise en œuvre des projets, et par conséquent leurs recherches et publications.

Accroître la demande et l’offre de preuves par les chercheurs du Sud

Une combinaison de mesures du côté de la demande et de l’offre est nécessaire pour faciliter une plus grande représentation des chercheurs du Sud dans les débats sur les politiques de développement.

Premièrement, les partenaires du développement et les gouvernements doivent faire des efforts concertés pour engager les chercheurs du Sud dans la recherche sur les politiques. Les politiques spécifiques pourraient inclure une plus grande transparence dans la sélection des chercheurs pour les projets de développement, et l’inclusion des chercheurs locaux dans toutes les études sur les politiques.

Deuxièmement, l’assurance que la recherche vise bien l’adoption de politiques devrait faire partie intégrante de tout travail de développement. Dans le cas contraire, la recherche produite ne sera pas adaptée aux contextes locaux et ne pourra pas jouer un rôle important dans l’élaboration de la politique de développement. 

Troisièmement, les organismes donateurs, les publications et les conférences devraient investir dans l’amélioration de la représentation de la recherche du Sud dans le lien entre recherche et politique. Ensemble, ces canaux ont une influence significative sur le programme de recherche pour le développement et pourraient servir de gardiens de l’égalité, en faisant d’une meilleure représentation une condition d’accès.

Dans le même temps, des investissements directs sont nécessaires – de la part des organismes donateurs, des partenaires du développement et des gouvernements – pour uniformiser les règles du jeu. Il convient de créer davantage d’opportunités permettant aux chercheurs de s’épanouir dans les pays en développement. Reconnaître et retenir les esprits locaux brillants augmentera la quantité et la qualité de la recherche sur les politiques locales, ce qui contribuera à identifier les voies d’un développement équitable et durable.

 

Verónica Amarante
Professeure, Universidad de la República et chercheuse, Partnership for Economic Policy (PEP).
Nisha Arunatilake
Directrice de la recherche, Institut d'études politiques et chercheuse, Partenariat pour la politique économique (PEP)
Ronelle Burger
Professeure, Université de Stellenbosch, chercheuse, Partenariat pour la politique économique (PEP)
Ana Lucía Kassouf
Professeure, Université de Sao Paulo, chercheuse, Partenariat pour la politique économique (PEP).
Lucas Ronconi
Professeur à l'université de Buenos Aires, chercheur au Conseil national de la recherche scientifique (CONICET) et chercheur au Partenariat pour la politique économique (PEP).