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Renforcer la résilience à l’époque du Covid-19 et au-delà

8 min

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Debora Irene Christine and Mamello Thinyane

La pandémie a attiré l’attention sur le fait que des domaines souvent considérés comme distincts sont profondément interdépendants : la santé publique, la politique, l’économie, le droit et bien sûr l’environnement. Cet article affirme que la résilience de nos sociétés dépend de la relation entre de multiples centres de décision. Les auteurs démontrent, à partir de l’étude d’un certain nombre de secteurs, l’importance fondamentale d’inclure la société civile et les organisations locales dans la gouvernance systémique.

L’interconnexion et l’interdépendance mondiales entraînent la propagation des chocs majeurs comme ceux du Covid-19 à travers les secteurs, les économies et la société dans son ensemble. La pandémie devenue crise mondiale nous rappelle à quel point les changements qui interviennent dans la sphère complexe des systèmes environnementaux, économiques et sociopolitiques dont nous faisons partie, sont non linéaires, imprévisibles, résultant de transitions soudaines et pouvant avoir des répercussions systémiques et sociales importantes.

La crise a révélé comment une maladie, facteur de stress provenant d’un seul secteur (celui de la santé), peut engendrer des vulnérabilités dans d’autres domaines en provoquant des effets en cascade à travers tous les secteurs et milieux. Indépendamment de l’impact positif, par exemple sur l’environnement, les conséquences en ont plutôt été des pertes humaines considérables et d’énormes dommages sur l’économie et la société.

Par exemple, la crise a mis en évidence combien la résilience du système de santé influe sur la résilience économique, c’est-à-dire la capacité du système économique à résister aux chocs sans perdre la capacité d’allouer efficacement les ressources. Les pays ayant une faible capacité de réaction aux situations d’urgence et une forte exposition commerciale sont plus exposés au risque de crise économique, tandis que les pays moins dépendants des exportations et mieux préparés aux épidémies seront plus résistants.

De même, à cause du confinement, les économies dépendant des industries de services, comme le tourisme et l’hôtellerie, sont plus vulnérables. Cette vulnérabilité économique s’exprime très souvent par une vulnérabilité sociale, avec des risques croissants de violences sexistes et des problèmes d’éducation et de santé mentale.

Pour éviter l’effondrement du système, il faut adopter une approche globale de la résilience d’un système interconnecté

Il est devenu impératif de renforcer la résilience pour éviter l’effondrement du système. Mais si la pandémie a engendré des difficultés qui menacent tous les niveaux et tous les secteurs de nos systèmes, les impératifs actuels de résilience n’ont pas tenu compte de la résilience aux niveaux systémique et global.

L’interconnexion implique que la résilience repose sur la coordination entre les différentes fonctions sectorielles, les niveaux de gouvernance et les milieux sociaux. Il ne suffit donc pas d’envisager la résilience dans les limites d’un système cloisonné. Pour éviter un effondrement intersectoriel, il faut au contraire réfléchir à la résilience au-delà des systèmes individuels et examiner les interdépendances des différentes résiliences. Cela exige une évaluation globale des différents scénarios de danger, des effets domino, des écarts de compétences et des options de réduction des risques.

La résilience est encore renforcée par la redondance, donc lorsque davantage de parties prenantes sont impliquées dans la gouvernance – par exemple, lorsque les gouvernements locaux sont en mesure d’allouer davantage de moyens et de mettre en œuvre des mesures plus efficaces en réponse au manque de ressources ou de leadership des gouvernements nationaux. Le chevauchement des réseaux de gouvernance permet d’assurer la mobilisation continue des ressources nécessaires pour sortir de la crise. Il permet également l’utilisation des connaissances locales disponibles aux niveaux de gouvernement infranationaux.

Permettre la coproduction de la résilience par l’approche de la « gouvernance polycentrique »

Au fil du temps, des crises comme la pandémie ont remis en question le modèle de gouvernance dominant en matière de résilience, centré sur le leadership des gouvernements. Bien que ce dernier soit nécessaire pour affronter les situations d’urgence au moyen de politiques, d’institutions, de financement et de prestation de services publics, la question de la limitation des ressources ainsi que la nécessité d’équilibrer les priorités stratégiques en période de crise restreignent malgré tout fréquemment la capacité des gouvernements à garantir la résilience de tous.

Dans ce contexte, à travers le monde, les réponses de la société civile et des mouvements hyperlocaux ont contribué à limiter les effets de la crise du Covid-19 et à en atténuer les conséquences les plus graves. Par exemple, du point de vue de la disponibilité des données et de la capacité statistique, l’incapacité des agences statistiques nationales à produire des chiffres fiables et exhaustifs sur le Covid-19 a été compensée par des initiatives de la société civile s’appuyant sur des données publiques.

Le rôle de la « communauté sociale » pour répondre au besoin de résilience est également manifeste dans les cas où la société civile a participé activement à la réduction des échecs du gouvernement en matière de communication sur les risques. Ces cas mettent en évidence l’efficacité de la « gouvernance polycentrique » de la résilience, en particulier en temps de crise.

La gouvernance polycentrique est un modèle de gouvernance adaptative constitué de multiples centres de décision – souvent redondants dans leur fonction – reliés par des réseaux formels ou informels. Un tel modèle de gouvernance facilite la production de solutions alternatives aux problèmes communs. La gestion polycentrique de la résilience permet la collaboration en matière de gouvernance des risques et la coproduction de la résilience.

La notion de coproduction n’est pas nouvelle. De nombreuses discussions interdisciplinaires ont eu lieu sur l’importance de la coproduction des services de santé, de la gestion des risques d’inondation, des services publics, de la résilience urbaine et de la résilience économique. La diversité des parties impliquées dans la coproduction de systèmes résilients signifie que davantage d’acteurs contribuent à l’intelligence collective nécessaire pour gérer ces systèmes et que les ressources locales sont facilement disponibles.

La gouvernance polycentrique permet non seulement d’éliminer le point d’échec lié à une gouvernance de la résilience centrée uniquement sur le leadership des gouvernements, mais aussi de multiplier les possibilités d’adaptation et de réorganisation dans des conditions défavorables, de manière à maintenir un fonctionnement normal.

Aider les acteurs de la société civile à participer à la coproduction de la résilience

La coproduction et la gouvernance collective de la résilience impliquent un partage des responsabilités. Elles exigent également la mise à disposition des ressources de remplacement nécessaires à la relance et à l’adaptation, ainsi que la mise en place de mécanismes permettant une collaboration active entre les parties prenantes dans des pratiques productives qui exploitent les diverses ressources de connaissances contribuant à la capacité de résilience. À cet égard, il convient d’impliquer les acteurs de la société civile qui, traditionnellement, ont été laissés à eux-mêmes pour s’organiser ponctuellement dans la coproduction de la résilience.

Parmi les parties prenantes, les inégalités de pouvoir ont entraîné un accès déséquilibré aux ressources. Afin que l’impératif actuel de résilience ne promeuve pas seulement la responsabilité sans pouvoir, en d’autres termes, afin que la résilience ne soit pas une responsabilité partagée sans pouvoir corrélé, les « capacités d’action » de la société civile – en tant qu’agents actifs de la coproduction de la résilience – doivent être renforcées pour leur permettre de concevoir des mesures de résilience adaptées à des besoins spécifiques.

Cela signifie qu’il ne suffit pas d’attribuer aux acteurs de la société civile des responsabilités pour aider à la mise en œuvre et à la localisation des politiques de résilience et renforcer la participation des groupes marginalisés. Cela implique également d’élargir la représentation des processus multipartites dans la définition et l’évaluation des stratégies de résilience afin d’inclure les acteurs de la société civile.  Cela exige la création d’un environnement favorable dans les dispositions juridiques et institutionnelles permettant la participation de la société civile à la coproduction de la résilience dans divers domaines et services, et ce par différents moyens.

À cette fin, le cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophes, qui prend en compte un large éventail de désastres, allant des risques naturels aux risques d’origine humaine, en passant par les risques et dangers environnementaux, technologiques et biologiques connexes, offre une perspective utile pour rendre opérationnelle l’approche polycentrique de la résilience dans les dispositifs institutionnels et la gouvernance partagée. La structure reconnaît explicitement qu’une gouvernance efficace des risques implique de multiples acteurs opérant à différents niveaux.

Conclusion

La pandémie a mis en évidence non seulement les interdépendances entre les secteurs, les institutions et les États, mais aussi le fait qu’une confiance excessive dans la capacité d’un seul secteur ou d’une seule partie prenante à amortir la crise et à s’en relever est insuffisante. La capacité à apporter des réponses efficaces implique l’effort de divers acteurs qui se rejoignent. La gouvernance polycentrique de la résilience présente certes des degrés élevés de chevauchement et de répétition, mais ceux-ci sont essentiels pour coproduire des efforts de récupération et d’adaptation décentralisés basés sur les besoins et les capacités locales.

Le Covid-19 n’est qu’une des manifestations de notre paysage mondial actuel des risques. En raison de la surexploitation des biens communs mondiaux, tels que la biodiversité, l’eau et l’air propres, ainsi que du manque de préparation et de capacité de réaction aux situations d’urgence aux niveaux mondial et national, les risques d’événements catastrophiques futurs sont plus élevés. Cela exige non seulement que le gouvernement et le secteur privé soient résilients, mais aussi l’ensemble de la société.

 

Debora Irene Christine
Researcher, United Nations University Institute in Macau
Mamello Thinyane
Principal Research Fellow, United Nations University – Institute in Macau